logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le grand entretien

« Les dirigeants de PME s’approprient à leur manière les principes de la RSE »

Le grand entretien | publié le : 17.04.2023 | Frédéric Brillet

L’ouvrage Management des ressources humaines en PME : approches stratégique et sociale, publié chez Vuibert, explore les spécificités de la gestion des ressources humaines (GRH) dans les petites structures – parfois plus innovantes qu’on ne l’imagine…

Quelle est l’ambition de cet ouvrage collectif que vous coordonnez ?

Dans le prolongement des publications produites depuis 2010 par le groupe de recherche thématique GRH dans les PME, de l’Association francophone de gestion des ressources humaines (AGRH) que nous animons, nous avons voulu répondre aux préoccupations des responsables RH dans les PME en leur proposant des outils facilement actionnables. L’enjeu est aussi de rappeler que la GRH en PME ne se résume pas à la transposition de celle des grandes entreprises dans un modèle réduit.

Quelles sont les spécificités de la GRH en PME ?

La GRH en PME se construit chemin faisant en tenant compte du contexte dans lequel ces entreprises évoluent. Si elle n’est en aucun cas prédéterminée, elle se trouve impulsée par le dirigeant qui fait bien souvent office de directeur des ressources humaines. Des problèmes surviennent quand il prend des décisions RH arbitraires, perçues alors comme peu légitimes par les salariés. À titre d’exemple, la politique de rémunération est le plus souvent discrétionnaire : il en découle notamment une attribution de primes réalisée à partir de critères non spécifiés. Le recrutement se déroule également de manière informelle, via le bouche-à-oreille, c’est-à-dire au travers des réseaux professionnels et personnels du dirigeant. Ces décisions subjectives peuvent faire l’objet de contestations de la part des salariés. Il en est de même pour les promotions, ce qui peut entraîner là aussi une perte de sens et un désengagement de certains collaborateurs.

Le caractère informel de la GRH en PME n’a-t-il que des inconvénients ?

Non, car le caractère informel des pratiques peut également aboutir, dans des cas plus rares, à l’effet inverse, et laisser place à une GRH partagée entre le dirigeant et les salariés. Celle-ci se veut alors bienveillante, ce qui génère une plus forte adhésion au projet de l’entreprise. Contre-intuitive a priori en raison des spécificités de la PME tournée vers la centralisation du pouvoir, cette forme de GRH rend pourtant compte de la complexité et de la richesse des relations humaines dans ce type de structure.

Quels sont les principaux défis auxquels la GRH se confronte dans les PME ?

La GRH en PME est une thématique prégnante dans le contexte de crise économique et géopolitique que nous vivons actuellement. Bien souvent, ces organisations ne disposent pas des expertises RH et des moyens financiers que mobilisent les grandes entreprises pour attirer et fidéliser les salariés – qu’il s’agisse des rémunérations ou des conditions de travail. Or les conséquences d’un départ peuvent être plus préjudiciables dans les petites structures. Un seul salarié qui démissionne dans une organisation de 10 personnes, c’est 10 % de l’effectif total. De quoi entraîner des dysfonctionnements majeurs… Enfin, il existe une proximité souvent affective entre le dirigeant et les salariés, ce qui peut créer des traumatismes lorsqu’un salarié s’en va. En conjuguant une approche sociale et stratégique, notre ouvrage ambitionne de répondre à ces défis cruciaux et d’apporter aux dirigeants de PME et relais RH un éclairage et des recommandations tirés de cas concrets.

Votre ouvrage se penche notamment sur la spécificité de la GRH dans les PME internationales et les start-up…

Dans certains cas, les PME internationales et les start-up adoptent une GRH qui s’apparente à celles des grandes sociétés, contrairement à leurs homologues purement locales. Leur GRH s’aligne alors sur la stratégie de l’entreprise et s’inscrit dans une logique de développement de la performance. On observe également l’existence d’une individualisation des pratiques de GRH qui va favoriser l’implication et l’engagement des salariés au travers d’incitations (formation, rémunération, etc.). Tout cela s’explique par le profil de leurs salariés, souvent plus jeunes, qualifiés et dotés d’une forte appétence pour les technologies et l’international. Diverses pratiques sont spécifiques à ce type d’organisation : la gestion des expatriés, le management à distance et le management interculturel.

Dans quelle mesure les PME innovantes le sont-elles aussi dans la GRH ?

Nos recherches ont montré qu’il n’y a pas, à coup sûr, de corrélation entre ces deux éléments. En effet, une PME innovante peut mettre en place une GRH purement arbitraire et informelle. Nous l’abordons d’ailleurs dans un précédent ouvrage (labellisé FNEGE) : Manager l’innovation en PME, focus sur la GRH, publié en 2019 aux Éditions EMS. L’innovation y émerge de manière sporadique, par exemple quand il s’agit de recruter des profils hautement qualifiés ou de favoriser l’échange de connaissances et d’informations entre salariés. Une communication interne efficace accélère en effet le développement de nouveaux produits à partir de l’expérience et des retours de tout le personnel. Ces PME maîtrisent l’art d’inviter à la table de l’innovation des salariés issus des différents services de l’entreprise afin de croiser les regards des techniciens, commerciaux… Ainsi bénéficient-elles d’une plus grande intelligence collective. L’innovation est aussi susceptible de transformer la GRH : concrètement, l’une des PME étudiées dans notre ouvrage avait introduit de nouveaux procédés d’automatisation, ce qui a transformé le métier des opérateurs et les compétences à mobiliser. Cette innovation a de même nécessité l’organisation de formations pour les accompagner et les soutenir dans ce changement de grande ampleur. On voit bien que la GRH peut être un levier d’innovation mais par un effet rétroactif, les innovations mises en place vont faire évoluer les pratiques de GRH. Un cas intéressant d’innovation concerne les PME membres de clusters.

Quels dispositifs GRH spécifiques émergent dans ce contexte ?

Au-delà de la proximité intra-organisationnelle caractérisant les PME, ces dernières s’inscrivent également dans une proximité spatiale et socio-économique sur leur territoire. En outre, lorsqu’elles adhèrent à un cluster, elles ont la possibilité de bénéficier de prêt de main-d’œuvre.

Votre ouvrage pose aussi le cas du rôle de la GRH lors de transmission ou de reprise de PME…

Près de 185 000 entreprises sont susceptibles d’être transmises chaque année, mais seulement 51 000 changent de main (BPCE L’Observatoire, 2019). Au-delà de l’insuffisance de ressources financières, cela tient à des déficiences dans l’organisation et la gestion des ressources humaines. Pour y remédier, la loi Hamon (31 juillet 2014) oblige tout dirigeant d’entreprise de moins de 250 salariés à les informer d’un projet de cession de l’entreprise, sous peine d’annulation de celle-ci. Cette obligation vise notamment à inciter des collaborateurs à la racheter pour maintenir l’activité. Malheureusement, cette loi ne suffit pas et la transmission/reprise des PME demeure une étape délicate dans la vie de ces organisations. Pour bien négocier ce passage, il faut prendre en considération le deuil du cédant (qui doit confier son « bébé » à un repreneur et quitter l’organisation sereinement), la socialisation repreneuriale (l’intégration du repreneur) et le rôle du noyau dur (la fidélisation des salariés clés de la PME).

Comment les RH dans les PME abordent-elles le thème de la RSE qui devient un élément clé pour attirer et fidéliser les collaborateurs ?

En 2018, une enquête de Bpifrance Le Lab montrait que 50 % des dirigeants de PME sont entrés dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale (RSE), susceptible de les amener à revoir aussi bien l’organisation de leur structure que leur mode de management. L’enquête souligne également que les dirigeants de PME s’approprient à leur manière les principes de la RSE. Leur engagement dans cette voie ne constitue pas une réponse aux pressions institutionnelles exercées, mais représente davantage la manifestation de leur volonté de traduire leurs valeurs personnelles en action. D’où l’émergence de pratiques généralement informelles : flexibilité des horaires de travail (qui renvoie au respect de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle), mise en place d’une organisation plate (pour renforcer la proximité), recours à des formes de communication fondées sur des newsletters (qui vise à renforcer les liens sociaux entre salariés), déploiement de programmes de formation…

En quoi la GRH des PME de l’économie sociale et solidaire (ESS) se distingue-t-elle des PME à but purement lucratif ?

Leur GRH se distingue par un recrutement s’appuyant sur les valeurs, des rémunérations moins incitatives et une flexibilité interne pour préserver les emplois. On observe aussi la présence de pratiques inclusives qui reposent notamment sur le partage de l’information par le dirigeant et l’implication des salariés dans la prise de décision et le partage d’idées. Ces pratiques visent à accroître la satisfaction au travail des salariés et les échanges sociaux qui sont source de performance.

Les coordinateurs

Ludivine Adla, maître de conférences HDR à Grenoble IAE, Grenoble INP-UGA et membre du laboratoire CERAG. Elle copilote la chaire Capital humain et innovation de Grenoble IAE. Elle est l’auteure d’un ouvrage et d’une dizaine d’articles académiques portant sur la GRH, l’entrepreneuriat, l’innovation et le don en contexte de PME, publiés dans des revues francophones et anglo-saxonnes.

Virginie Gallego-Roquelaure, professeure à l’IAE Lyon School of Management de l’université Lyon 3, est responsable de la valorisation de la recherche du laboratoire Magellan. Ses recherches portent actuellement sur l’innovation en PME et en start-up, ainsi que sur les spécificités de leur GRH. Elle est l’auteure d’une quinzaine d’articles académiques publiés dans des revues francophones et internationales et de trois ouvrages.

Marc-André Vilette, docteur en sciences de gestion, est professeur associé en GRH et management à l’ESC Clermont Business School. Durant vingt ans, il a accompagné des dirigeants de PME, en tant que DRH à temps partagé ou consultant. Membre de Clermont Recherche Management (CleRMa), il a pour axes de recherche la GRH dans l’ESS et les PME. À ce titre, il coanime le groupe de recherche thématique dédié de l’Association francophone de gestion de ressources humaines (AGRH) et a coordonné et coécrit un numéro spécial de la revue @GRH (2019) : Gérer les RH dans les PME.

Auteur

  • Frédéric Brillet