logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

Entretien : « Il faut désenclaver le recrutement »

Le point sur | publié le : 03.04.2023 | Gilmar Sequeira Martins

Pour favoriser les seniors, le recrutement doit changer d’horizon, quitte à se départir du rôle de fournisseur de services rattaché à une division ou un manager, selon Jean Pralong, professeur en ressources humaines à l’EM Normandie.

Quels sont les freins au recrutement des seniors ?

Le premier est la vision communément admise d’une carrière, héritée des années 70, qui suggère trois étapes incontournables : une phase d’ascension après l’arrivée dans l’entreprise, ensuite, une phase plateau et enfin, une phase de « préparation » à la retraite, du fait d’une lassitude, d’une moindre performance et d’une faible adaptation aux nouvelles technologies ou autres. Le second frein tient à la structure des entreprises. Tout le monde ne peut pas devenir dirigeant, de sorte que finissent par cohabiter des salariés d’âges différents qui ont des postes comparables mais des rémunérations distinctes du fait de l’ancienneté. Ces écarts créent un sentiment d’iniquité. Et là où la question de la promotion ascendante se pose beaucoup moins, dans le monde de la production et les métiers industriels, celle de la pénibilité est forte. Si l’ANDRH propose des mesures en faveur des seniors qui prévoient des exonérations, c’est la preuve que la rémunération est au cœur du problème.

Quel rôle peut jouer le recrutement ?

Il y a vingt ans, le recrutement était l’aboutissement d’une carrière de terrain et pas un point d’entrée dans les RH. Les recruteurs étaient des professionnels expérimentés qui connaissaient l’entreprise, les équipes et les métiers. Ils recrutaient pour l’entreprise et envisageaient dès le départ une trajectoire pour le nouveau venu. Dans les années 2000, ces postes ont été supprimés et remplacés par des Business Partners, des RH généralistes et polyvalents, rattachés à une Business Unit et non plus à la DRH. Ce système a fonctionné tant que les besoins de recrutement restaient réduits. Depuis dix ans, ils ont augmenté et il a fallu de nouveau mettre en place des recruteurs. On a choisi des juniors, avec l’idée que ces recruteurs auraient surtout à recruter des jeunes, ce qui tombait plutôt bien. En outre, ces nouveaux recruteurs sont nés de l’idée qu’il fallait les mettre dans une position de service vis-à-vis des managers.

Que faut-il faire évoluer ?

Les recruteurs vont devoir réviser leur point de vue et s’intéresser avant tout aux compétences. Mais ils ont du mal à se faire entendre car ils sont en position de fournisseurs vis-à-vis de managers « clients » qui cherchent le candidat idéal, comme le ferait un cabinet. C’est une position très inconfortable. Aujourd’hui, les jeunes recruteurs se basent sur le diplôme et non sur les métiers de l’entreprise car ils les connaissent peu et ils affectent le personnel sur la base de la fiche de poste et non sur les besoins. Du fait de leur jeunesse et de leur position, ils n’ont pas un poids suffisant pour se faire entendre. Ils sont au fait des stéréotypes et des biais, mais ils n’ont pas assez de pouvoir de conviction face à un manager moins éclairé – puisqu’il n’est ni recruteur ni spécialiste des RH – mais qui va en revanche évaluer leur travail…

Quelles actions proposez-vous ?

Il faut désenclaver le recrutement et le reconnecter à la gestion des carrières. Un recruteur ne doit pas seulement pourvoir des postes isolés pour satisfaire un manager mais proposer des perspectives de carrière afin d’établir une relation plus durable avec le candidat. L’évaluation du candidat doit dépasser l’avis du seul manager. Il va falloir aussi former les managers à évaluer des compétences et plus seulement à lire des CV. Pour que ce changement ait lieu, deux leviers doivent être actionnés. Le premier, incitatif, doit être un discours sur les compétences, porté par les directions générales. Le second, plus coercitif, consistera à vérifier que les entreprises ne recrutent pas uniquement des candidats de moins de 40 ans. Il faut des mesures structurelles pour prendre conscience des recrutements réels actuels. Il va falloir mesurer la moyenne d’âge des personnes recrutées, la moyenne d’âge par type de poste et aussi la moyenne d’âge des personnes licenciées ou qui se voient proposer une rupture conventionnelle. Les entreprises doivent se confronter à leur pratique du recrutement, instaurer une réelle évaluation des compétences en excluant le critère de l’âge. Un message devra aussi être porté auprès des candidats. Il faudra remplacer la corrélation entre ancienneté et salaire par une autre entre compétence et salaire, quel que soit l’âge, afin de relativiser le « bonus » de rémunération obtenu grâce à l’ancienneté.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins