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Reportage : Sarrebruck apprend à séduire les recrues étrangères

Tendances | Travailleurs étrangers | publié le : 27.03.2023 | Pascale Braun

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Reportage : Sarrebruck apprend à séduire les recrues étrangères

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Limitrophe de la France, la capitale du Land de Sarre est passée en l’espace d’une décennie du chômage de masse à la pénurie de main-d’œuvre. Les employeurs tentent leur chance dans les Balkans, à Madagascar ou… en Moselle pour attirer les salariés qui leur font cruellement défaut dans tous les secteurs.

En ce matin d’hiver, plusieurs dizaines de personnes patientent devant les deux entrées de la monumentale agence pour l’emploi de la Sarre. Proche du centre-ville de Sarrebruck, le bâtiment abrite à la fois les services des allocations chômage et de l’équivalent local du RMI, le centre d’orientation des demandeurs d’emploi, le guichet des allocations familiales, les allocations pour insolvabilité et le service d’accompagnement des personnes handicapées. Frontalier de la Moselle, le plus petit Land d’Allemagne, qui compte 982 000 habitants, présente encore un taux de chômage assez élevé de 6,8 %, mais le marché de l’emploi est fluide. En février dernier, près d’un millier de personnes ont retrouvé un travail et l’agence a comptabilisé 2 600 nouvelles offres d’emploi. La pénurie de main-d’œuvre reste criante, avec 11 567 postes à pourvoir.

10 000 euros de prime d’accueil

« La pénurie de travailleurs qualifiés affecte aujourd’hui tous les secteurs de l’activité. Qu’il s’agisse de l’industrie, des soignants, du commerce ou même des services publics comme le nôtre, le personnel manque et la relève n’est pas assurée. Notre priorité consiste à former les demandeurs d’emploi, mais cela ne suffit pas », constate Nicole Feibel, responsable presse et marketing de l’agence pour l’emploi de Sarre. Une promenade en ville confirme ses dires : dans un abribus, la concession automobile Torpedo promet la semaine de quatre jours et 10 000 euros de prime de bienvenue à qui voudra rejoindre ses équipes. Les boîtes aux lettres publiques servent de support aux affiches de la Deutsche Post, qui cherche du personnel. Rares sont les boutiques et restaurants n’arborant pas une offre d’emploi en vitrine et les conversations font état d’interminables délais, tant pour faire changer un passeport que pour réparer une fuite d’eau.

40 pays cibles

Confrontés à cette pénurie, les employeurs de ce Land ont pris leur bâton de pèlerin pour aller chercher parfois très loin la main-d’œuvre qualifiée qui leur fait tant défaut. Depuis mai 2020, la loi fédérale sur l’immigration et la main-d’œuvre qualifiée permet aux entreprises de recruter dans le monde entier des candidats dotés de diplômes universitaires reconnus ou ayant suivi une formation professionnelle de deux ans dans leur pays d’origine ou dans un pays tiers. Certaines formations plus courtes peuvent être validées et les conditions d’accès sont encore simplifiées pour les chauffeurs et les informaticiens. En Sarre, le programme IQ (Integration durch Qualifizierung), qui accompagne depuis près de vingt ans les personnes issues de l’immigration sur le marché du travail, s’est mis au service des entreprises pour prospecter des candidatures dans 40 pays, de la Turquie à la Chine, de la Serbie au Maroc.

« Les entreprises ont appris à construire leur image dans certains bassins d’emploi où ils viennent recruter régulièrement, comme les restaurateurs qui vont chercher leur personnel au Brésil », témoigne Félix Kraus, en charge de l’immigration de main-d’œuvre qualifiée pour le programme IQ en Sarre. Moyennant 450 euros par dossier, le service se charge de sélectionner les candidats étrangers et d’amorcer les procédures d’immigration. Six semaines plus tard, le candidat peut espérer obtenir son visa et être accueilli par son futur employeur. Une même procédure peut intégrer le ou la conjoint(e) et les enfants mineurs dans le cadre du regroupement familial.

Mais derrière cette facilité de façade, des milliers de candidats patientent souvent durant plusieurs mois avant d’obtenir le rendez-vous qui, dans leur pays d’origine, leur permettra d’obtenir le précieux sésame… IQ se charge également d’accompagner les réfugiés ukrainiens arrivés en Sarre. Ces derniers sont logés, disposent d’un pécule et bénéficient d’un accès direct à l’emploi. Dans leur situation très particulière, ils postulent rarement à un emploi à long terme. Mais certaines embauches se sont effectuées en toute simplicité, comme celle de ce boulanger ukrainien recruté par la boulangerie qui lui vendait du pain.

Petits salaires, mais petits loyers

Dans les professions médicales et paramédicales, la Sarre souffre d’un handicap induit par l’autonomie tarifaire qui permet à chaque Land de fixer ses propres salaires. En l’occurrence, cette région pauvre propose, face à son riche voisin du Bade-Wurtemberg, des tarifs parfois inférieurs de 5 000 euros par an. Les recruteurs contournent cet obstacle en parlant du coût de la vie, nettement plus abordable à Sarrebruck que dans de plus grandes métropoles, et en peaufinant le « service après-vente ». Principal employeur du secteur avec quatre sites hospitaliers employant 6 000 personnes, le groupe Saarland-Heilstätten GmbH (SHG) parvient ainsi à recruter en mettant en valeur, sur les réseaux sociaux spécialisés allemands, transfrontaliers et internationaux la qualité de la formation, les possibilités d’évolution de carrière et le bon accueil promis aux familles de ses futures recrues. Le groupe hospitalier reste néanmoins à la recherche de 28 médecins et 50 infirmiers et aides-soignants. L’an dernier, le programme fédéral « specialized » lui a permis de recruter trois médecins mexicains. Le groupe s’est également engagé dans l’accueil de volontaires internationaux – notamment de jeunes venus de Madagascar. « L’objectif premier de la coopération internationale est de faire découvrir la langue et la culture du pays d’accueil. En quatre ans, sept d’entre eux sont restés et nous nous en réjouissons », souligne Christina Pleyer-Rosenkranz, coordinatrice des projets de coopération internationale de SHG.

Le Land et ses institutions se sont lancés dans un marketing territorial inédit pour accompagner les efforts de recrutement de leurs entreprises. La ville de Sarrebruck engage ainsi la construction d’une école internationale pour accueillir les enfants des quelque 700 experts venus de tous les horizons pour rejoindre le centre de cybersécurité Cispa. La chambre de commerce et d’industrie de la Sarre mobilise quant à elle ses antennes internationales et les filiales étrangères de ses adhérents pour gonfler les forces de travail du Land. « Nous avons identifié des gisements de candidats au Portugal, en Italie ou en Turquie, des pays qui avaient déjà contribué à la reconstruction de l’Allemagne durant l’Après-Guerre », note Oliver Groll, directeur du centre de compétences en économie extérieure de la division politique économique et promotion des entreprises de la chambre de commerce et d’industrie de la Sarre. Pour les métiers de la logistique et du transport, les organisations professionnelles orchestrent par exemple des « caravanes de l’emploi » dans les Balkans pour entrer directement en contact avec des chauffeurs. S’ils montent à bord, ils ont de bonnes chances d’être embauchés au terme de quatre à six semaines de période d’essai.

Les efforts déployés par les employeurs sarrois pour trouver du personnel à l’autre bout du monde peuvent sembler étonnants, alors même que l’ancien bassin houiller de l’Est mosellan limitrophe connaît un chômage endémique dépassant souvent les 12 %. Mais dans cette frange frontalière, obstacle de la langue, insuffisance des moyens de transport et imbroglios administratifs se conjuguent pour contrer la mobilité. « La Sarre est très rurale et si l’entreprise qui recrute ne se trouve pas directement sur un axe de communication, elle est tout simplement inaccessible », souligne Achim Dürschmid, chef d’équipe de la division internationale et conseiller Eures. L’antenne sarroise de ce réseau européen de soutien à la mobilité professionnelle accompagne chaque année un millier de demandeurs d’emploi et réalise environ 300 placements de Français en Allemagne, contre une centaine d’Allemands orientés vers la France. La loi 3DS a compliqué le financement de l’apprentissage transfrontalier, sans pour autant décourager de gros employeurs sarrois, tels les équipementiers Michelin ou ZF, d’accueillir de jeunes mosellans. Là où l’apprentissage, naguère pilier de l’insertion des jeunes Allemands, régresse nettement, l’apport d’apprentis frontaliers contribue aujourd’hui à irriguer un bassin d’emploi sarrois exsangue.

Auteur

  • Pascale Braun