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Tendances

Immigration : En Côte d’Ivoire, les candidats au départ sont nombreux

Tendances | Travailleurs étrangers | publié le : 27.03.2023 | Lys Zohin

Faute de réelles opportunités dans leur pays, de nombreux Ivoiriens, diplômés ou non, ne rêvent que d’une chose : partir.

« La France ? Peut-être plutôt le Canada… En tout cas, j’ai un diplôme d’infirmier à faire valoir », déclare Jean Guehi. S’il n’est pas encore tout à fait décidé sur sa destination, toujours est-il qu’à 43 ans, ce père de quatre enfants se verrait bien exercer au sein d’un établissement moderne, dans un pays riche. Pour l’heure, il travaille, de même que son épouse, Daniella, elle aussi infirmière, à l’hôpital général de Bonon, une ville d’environ 100 000 habitants à une centaine de kilomètres à l’ouest de la capitale administrative de la Côte d’Ivoire, Yamoussoukro. Et les deux gagnent chacun l’équivalent de 350 euros par mois. Même dans un pays où le coût de la vie est moins élevé qu’en France, cela permet tout juste à la famille de s’en sortir. « Alors que nous avons un diplôme bac + 3, nous sommes, en tant que fonctionnaires de santé, payés selon une grille qui nous considère au simple niveau bac, soupire-t-il. En outre, nous manquons d’équipements à l’hôpital et les conditions de travail sont difficiles. » Son épouse met en avant une autre préoccupation qui incite la famille à envisager l’expatriation : « Je veux que nos enfants aient une bonne éducation pour bénéficier de meilleures opportunités professionnelles à l’avenir », dit-elle. Ici, en effet, l’école, surtout publique, avec ses classes surchargées, ses professeurs mal formés et un manque de moyens généralisé est loin d’être à la hauteur des attentes des parents. Enfin, ajoute Jean Guehi, « en étant à l’étranger, je pourrais aussi envoyer de l’argent à mes parents. Mon père n’a qu’une toute petite retraite, équivalant à quelques dizaines d’euros par mois. » Les Guehi s’intéressent donc de près aux évolutions concernant les politiques de visas de travail de pays comme la France et le Canada, qui comptent, parmi les nombreux métiers en tension, le personnel soignant.

Emploi de qualité

Certains, comme ces étudiants en droit à l’institut universitaire d’Abidjan, jumelé avec l’université Champollion d’Albi, voudraient d’abord y poursuivre leurs études, « puis revenir servir au pays, mais avec une meilleure formation, ce qui permet de décrocher un emploi de qualité », indique Marie-Estelle Yaka Yapi – tout en faisant la moue. En effet, la jeune étudiante en droit a tenté d’intégrer Campus France pour aller à l’université d’Albi finir son master, mais elle n’a pas été sélectionnée… « En plus, les visas étudiants sont eux aussi difficiles à obtenir », ajoute-t-elle. Partir n’a rien de facile, donc, mais qu’ils soient diplômés avec de l’expérience professionnelle, futurs diplômés ou travailleurs manuels, les candidats au départ sont nombreux en Côte d’Ivoire comme dans toute l’Afrique de l’Ouest. Leader économique de la région, la Côte d’Ivoire affichait quand même un taux de pauvreté estimé à 35 % de la population en 2020 (contre 39,4 % en 2018). Quant au taux de chômage, il serait de plus de 25 % chez les jeunes, dans une économie marquée par l’informel. Selon une étude de l’Agence française de développement, le chômage est l’une des plus grandes inquiétudes des jeunes Ivoiriens, les moins de 35 ans constituant les trois quarts de la population. Pas étonnant dans ces conditions que les intentions d’émigrer, étudiées par l’OCDE en 2019, soient fortes : 32 % des Ivoiriens indiquaient souhaiter quitter leur pays pour vivre de façon permanente à l’étranger – un niveau supérieur à la moyenne (28 %) de l’ensemble de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (qui comprend le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo), mais inférieur à la moyenne de l’Afrique subsaharienne (37 %). « Les intentions d’émigrer sont particulièrement élevées parmi les personnes diplômées du supérieur (49 %), les chômeurs (45 %) et les jeunes (42 %) », précise en outre l’étude de l’OCDE.

Nés du mauvais côté

Et la France, qui abrite une communauté de quelque 140 000 Ivoiriens, s’impose, en tant qu’ancien pays colonisateur dont ils parlent la langue, comme l’un des premiers choix pour les candidats à l’immigration. « Comment en serait-il autrement ? Dans les hôtels du bord de mer, à Grand-Bassam ou à Assinie, les serveurs se rendent compte de la qualité de vie des gens dans les pays riches lorsqu’ils voient les touristes venir, se prélasser sur la plage, dîner au restaurant. C’est normal qu’ils veuillent la même chose. Ils travaillent dur. Pourquoi n’y auraient-ils pas droit ? Parce qu’ils sont nés du mauvais côté de la Méditerranée ? », se demande un Franco-Ivoirien de passage. Il fait l’envie de ses amis, la fierté de sa famille. Il a été naturalisé français il y a près de 20 ans, et fait régulièrement des allers-retours entre la France et la Côte d’Ivoire. L’idée de devoir quitter le pays pour plusieurs années reste une perspective difficile, en particulier pour ceux qui envisagent de partir pour le long voyage vers le nord, afin de rejoindre la France de façon illégale. Ils devront en effet sans doute attendre des années avant qu’une régularisation leur permette de revenir périodiquement au pays. Et ils savent que les difficultés, sur la route comme en France, seront nombreuses. Mais ils veulent y croire…

Henri Claude Enan Tanoh est pourtant là pour les dissuader. Il a fondé l’ONG Diaspora Hébouca Yeou après une quête qui l’a mené de Côte d’Ivoire au Gabon, puis en Tunisie, avec l’idée de gagner l’Italie. « À plusieurs reprises, à Sfax, les passeurs m’ont pris mon argent – sans m’emmener, dit-il. Et je ne compte plus ceux que je connais et qui sont morts en Méditerranée. » Cette expérience, partagée par de nombreux malheureux qui veulent rejoindre les côtes européennes, l’a incité à revenir en Côte d’Ivoire et y fonder une ONG pour aller dans les écoles, les cafés, les lieux de rendez-vous d’une jeunesse désœuvrée afin de mettre en garde contre les dangers de cette immigration sauvage. « Nous essayons aussi de lancer des formations pour que ces jeunes apprennent un métier et puissent s’insérer dans le monde du travail, poursuit-il. Mais si la France a besoin de main-d’œuvre, pourquoi les employeurs ou l’État ne viennent-ils pas ici, sur place, pour nous former avant de partir et nous donner un visa pour travailler ? Pourquoi ne pas organiser une immigration légale ? », se demande-t-il…

Auteur

  • Lys Zohin