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Emploi : La grande bataille du personnel soignant

Tendances | Travailleurs étrangers | publié le : 27.03.2023 | Lys Zohin

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Emploi : La grande bataille du personnel soignant

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Comme en France, le manque de vocations et de personnel soignant est patent outre-Manche, où il manquera, selon les estimations, plus de 140 000 infirmiers et infirmières dans le système de santé public d’ici 2030. Parmi les solutions immédiates, le recrutement à l’étranger et en particulier dans certains pays du Commonwealth.

Le 16 mars dernier, le gouvernement britannique a offert, à l’issue de plusieurs semaines de négociations, une augmentation de salaire de 5 % à plus d’un million d’infirmiers et infirmières, de sages-femmes et d’ambulanciers travaillant pour le service de santé public, le National Health Service (NHS). Une amélioration par rapport à une première proposition de seulement 3,5 % d’augmentation. Il fallait en effet tenter de mettre fin à la grogne et aux mouvements de grève sporadiques qui perturbent le NHS depuis des mois et auraient résulté en l’annulation d’au moins 150 000 actes médicaux. Mais au-delà de cette initiative sur les salaires, les autorités ont pour l’instant du mal à régler une autre question, autrement plus épineuse, celle du manque de personnel. Comme en France, les vocations, face au salaire peu attirant et aux conditions de travail ardues, sont de moins en moins nombreuses. Les dernières données montrent qu’en fonction des entrées en formation, en 2025, 2 000 diplômés manqueront à l’appel par rapport à 2024. Et le durcissement des conditions de remboursement des emprunts contractés pour payer les études risque d’aggraver la pénurie. L’État a en effet abaissé le seuil de salaire déclenchant les remboursements obligatoires, tout en augmentant la durée des versements jusqu’à 40 ans… De quoi, selon les observateurs, décourager un peu plus les bonnes volontés, en particulier chez les femmes, puisqu’elles sont en général moins bien payées et que leur carrière est plus hachée que celle des hommes.

Viviers et visas

Seule solution pour l’instant, le recours à des talents étrangers. Et les « viviers » vers lesquels se tournent naturellement les recruteurs privés se trouvent souvent dans les anciennes colonies britanniques ou dans le Commonwealth. Ainsi, « le gouvernement a prévu d’accroître le nombre de professionnels du soin dans le public de 50 000 en 2024, ce qui implique forcément une progression des visas de travail », indique ainsi Tracey Collins, une infirmière qui s’est spécialisée depuis 2014 dans le recrutement à l’étranger et qui dirige les activités de recrutement international d’une « Alliance » mise en place en 2021 par plusieurs établissements hospitaliers publics du Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre. « Le Devon prend effectivement déjà sa part : la première année, nous nous étions fixé un objectif de 325 infirmiers et infirmières à recruter à l’étranger, objectif que nous avons atteint. Pour 2022, nous en voulions 450 et nous avons réussi. Depuis août 2021, nos efforts ont donc permis l’arrivée de 775 infirmiers et infirmières étrangers dans le comté. » Pour elle en effet, il n’y a pas d’autres solutions, face à la pénurie et au manque de vocations, sans oublier qu’une large proportion des personnels soignants a entre 50 et 60 ans et va donc prochainement partir à la retraite.

Pour parvenir à séduire des infirmières et infirmiers venus d’ailleurs, Tracey Collins voyage dans les pays où elle peut battre le tambour sans craindre de déroger à un « code éthique strict », dit-elle, adopté par l’Alliance – qui fait toutefois également appel à des recruteurs privés ne tombant pas sous le coup de l’interdiction de chasser les talents dans certains pays, tel qu’appliquée par le Royaume-Uni (lire encadré). De même, le classement de l’OMS définissant le statut de 47 pays, plus ou moins accessibles du fait de leur propre pénurie en matière de personnel de santé, déterminée en fonction de ratios moyens mondiaux entre patients et personnels de soin, n’empêche pas les relations privées entre employeurs et candidats potentiels. Enfin, certains pays – l’Inde, les Philippines, la Malaisie, par exemple, sont sur une liste verte, et peuvent faire l’objet d’un accord de partenariat avec le Royaume-Uni, au terme duquel les recrutements sont facilités. « La pénurie de personnel soignant est mondiale, précise Tracey Collins, et les prévisions de l’OMS tablent sur la nécessité d’ajouter 9 millions de professionnels du soin, infirmiers et sages-femmes, d’ici 2030 pour assurer l’objectif de développement durable de l’ONU portant sur la santé. » La lutte est donc serrée. Cette spécialiste du recrutement international organise, dans les pays qu’elle cible, tels les Émirats arabes unis, Taïwan (pour les infirmières philippines qui s’y trouvent) et même les États-Unis, des présentations du système de santé britannique dans des hôtels, des campagnes d’information sur les réseaux sociaux, des webinaires dans les écoles de formation, comme celui qu’elle vient de faire dans l’Assam, en Inde, et met en avant les opportunités de carrière et d’évolution professionnelle, voire de rotations entre le pays d’origine ou de première immigration et le Royaume-Uni. « Nous ne sommes pas là pour piller les pays pauvres, assure-t-elle, nous sommes là pour nouer des partenariats qui seront gagnant-gagnant pour les professionnels et leur pays. Nous voulons redonner ensuite. » L’Alliance des hôpitaux publics du Devon déroule en tout cas le tapis rouge aux nouvelles recrues, comme Mary Teniola, originaire du Nigeria mais qui avait déjà réalisé une première expatriation à Dubaï avant de rejoindre le Royaume-Uni. Le package inclut le visa de travail pour trois ans, extensible sur deux ans ensuite et qui permet de demander dans la foulée un permis de séjour permanent, y compris pour le ou la partenaire et les enfants, un billet d’avion gratuit, deux mois de logement gratuits, le temps de trouver son propre chez soi, la reconnaissance automatique du diplôme… « Je rêvais d’exercer dans un pays riche, déclare Mary Teniola, pour bénéficier d’un meilleur environnement de travail, plus international, aussi, mais également parce que je voulais que mes quatre enfants, qui m’ont accompagné, puissent avoir une éducation de qualité et une plus grande ouverture d’esprit. » Cela fait maintenant six mois qu’elle est au Royal Devon Hospital, à Exeter, capitale du comté. Elle participe à des activités sociales et culturelles organisées aussi bien par l’établissement de santé qui l’emploie que par les organisations de soutien qui épaulent l’Alliance pour mieux intégrer les nouveaux venus. « Et je n’ai eu aucun commentaire raciste », ajoute-t-elle. Elle compte, comme beaucoup d’autres infirmières et infirmiers recrutés par Tracey Collins – qui affiche, depuis le début de l’initiative, un taux de fidélisation de plus de 90 % – rester au Royaume-Uni un bon moment. « Mais j’aimerais bien exercer ailleurs en Europe aussi. Pourquoi la France ne ferait-elle pas de partenariats pour des échanges ? », s’exclame-t-elle.

Auteur

  • Lys Zohin