À 18 heures, quand Hassan1 franchit la porte de l’immeuble qui héberge la société Pragma 9, à quelques encablures de la gare Montparnasse, dans le 14e arrondissement de Paris, la plupart des salariés de cette petite entreprise s’apprêtent à partir. Depuis bientôt un an, ce réfugié soudanais dort dans la salle où ces derniers déjeunent le midi, quitte les lieux tous les matins à 8 h 30 en semaine, et y passe le week-end. Meublé de quelques chaises, une grande table, deux fauteuils jaunes, un réfrigérateur, un micro-ondes, cet espace dispose également d’une salle d’eau et d’un canapé qui se déplie.

Pragma 9 est l’une des 70 entreprises partenaires que comptent aujourd’hui Les Bureaux du cœur. Lancée par des membres du Centre des jeunes dirigeants de Nantes (Loire-Atlantique), l’association est présente dans 17 villes sur tout le territoire et a permis l’accueil de 150 sans-abris depuis 2019 (lire entretien). Ils restent en moyenne entre deux et quatre mois.

« C’est une bonne idée. Pour l’instant, je ne suis pas dans la rue, j’ai de la chance », se réjouit Hassan, qui dormait dehors après son arrivée en France en 2020. En attendant de décrocher un contrat long et de trouver un logement pérenne, cet électricien de métier, accompagné par l’association France Horizon, suit des cours de français et espère obtenir une équivalence pour exercer sa profession ici. « Nous ne voyons même pas qu’il est là. Il part tôt le matin, revient tard le soir. Il range, refait le lit systématiquement. Il n’y a rien qui traîne », commente Frédéric Lahmi, office manager, qui tient à préciser : « Il ne nous doit rien, il n’y a pas de contrepartie. »

Un meuble fermant à clef pour ranger ses effets personnels a été installé et un ordinateur lui a été prêté pour faciliter ses démarches de recherche d’emploi. « Il y a un contact, ce n’est pas juste l’habitant du soir que nous ne voyons jamais », ajoute Aurélie Ridjesic, secrétaire de direction. Hassan est convié aux pots organisés dans l’entreprise et peut compter sur l’aide des collaborateurs en cas de besoin. Pour Aurélie Ridjesic, cet engagement de la part de son employeur, qui s’inscrit dans une démarche RSE plus générale, a compté lors de son entretien de recrutement il y a quelques mois. « J’ai trouvé cela super. On se dit que l’entreprise fait vraiment quelque chose de bien. C’est concret, réel, pas juste une posture de la direction », souligne-t-elle.

La démarche a été portée par la fondatrice et dirigeante de la société, Marie Prince, qui a connu l’association Les Bureaux du cœur grâce à un reportage à la télévision en 2021. « Je me suis dit : “Mais pourquoi personne n’y a pensé avant ?” Cela paraît tellement simple. Nous avions la chance d’avoir un appartement dans nos bureaux, c’était tout à fait adapté. J’en ai parlé à mes équipes, tous les collaborateurs ont trouvé cela super », se souvient-elle en insistant : « C’est bien encadré par Les Bureaux du cœur qui choisissent la personne invitée, c’est très rassurant. »

Une association partenaire, spécialisée dans la réinsertion, signe avec l’entreprise et « l’invité » une convention tripartite d’occupation d’urgence qui régit les règles à suivre par chacune des parties. Pour l’entreprise, création d’un espace d’accueil digne. Pour la personne accueillie, respect du règlement intérieur, interdiction de s’alcooliser ou de recevoir des amis, et enfin, pour l’association partenaire, suivi et intervention en cas de problème.

Parfois, les liens dépassent les murs du monde professionnel. Ainsi, Marie Prince a convié Hassan à passer Noël chez elle avec ses proches. « C’était chouette », se souvient la dirigeante. « J’ai maintenant beaucoup de famille ! », conclut Hassan en souriant.