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Prévention : La France a mal à sa pénibilité

Le point sur | publié le : 20.03.2023 | Lucie Tanneau

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Prévention : La France a mal à sa pénibilité

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Le compte pénibilité a été créé en 2014, puis modifié en 2017. Six ans plus tard, la réforme des retraites renforce encore son utilisation à titre compensatoire et non préventif. En fait, les entreprises doivent être accompagnées pour réfléchir à des conditions de travail qui permettent d’atteindre l’âge de la retraite, et elles doivent particulièrement soigner celles des femmes.

Activités pratiquées en milieu hyperbare (haute pression), températures extrêmes, bruit, travail de nuit, travail en équipes successives alternantes et travail répétitif… En France, les salariés qui exercent leurs fonctions dans ces conditions, jugées difficiles, peuvent bénéficier de mesures de compensation de cette pénibilité. De compensations de ces « facteurs de risques professionnels », devrait-on dire, puisque le terme « pénibilité » n’est plus utilisé dans le Code du travail depuis le 1er octobre 2017, date à laquelle le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) est devenu le compte professionnel de prévention (C2P). L’article L. 4161-1 du Code du travail reconnaît dix facteurs de risques, mais seuls six sont associés à des seuils d’exposition et ouvrent droit à une compensation. Ainsi, les critères concernant les agents chimiques dangereux, la manutention manuelle de charge, les postures pénibles et les vibrations mécaniques ne sont plus pris en compte.

Un recul social dénoncé à l’époque notamment par les syndicats, et que la réforme des retraites en cours veut corriger, en permettant à un plus grand nombre de salariés de bénéficier de dispositifs de compensation de la pénibilité au travail. Le 10 janvier dernier, lors de la présentation de ladite réforme, des mesures ont été dévoilées. Un « suivi médical renforcé » est envisagé pour ceux qui ont un emploi dit pénible. La visite médicale des 45 ans serait pour eux suivie d’une deuxième, à l’âge de 61 ans, afin de constater éventuellement une inaptitude à travailler et de « faciliter les départs anticipés ». La création d’un « congé de reconversion professionnelle » pour les travailleurs ayant un compte professionnel de prévention (C2P) devrait également permettre à des salariés confrontés au port de charges lourdes, à des postures pénibles ou à des vibrations mécaniques de bénéficier du nouveau « fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle », doté d’un milliard d’euros « sur le quinquennat ». Charge aux branches professionnelles de recenser, avec la Sécurité sociale, les métiers les plus exposés aux facteurs de risques ergonomiques. Quelque 60 000 salariés devraient bénéficier du C2P grâce à l’abaissement des seuils d’exposition à un risque professionnel (pour le travail de nuit, le seuil passerait de 120 à 100 nuits et de 50 à 30 nuits pour ceux qui travaillent en équipes alternantes), sachant que les points pourront être acquis plus rapidement, grâce notamment au cumul de critères en cas de multi-exposition.

Pénurie de médecins du travail

Ces améliorations de la prise en compte de la pénibilité font cependant face à deux écueils. La pénurie de médecins du travail, d’abord, qui risque de compromettre l’efficacité de la deuxième visite obligatoire. Ensuite, le faible recours au dispositif de compensation de la pénibilité semble également démontrer un problème d’accès au droit pour les salariés. La Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) a en effet rapporté en juin dernier que plus de 80 % des 2,9 millions de salariés potentiellement éligibles au C2P n’ont pas eu accès à ce dispositif de compensation de l’usure professionnelle. Moins de 12 000 personnes l’ont en effet effectivement utilisé. Un chiffre si faible qu’il interroge. La Cour des comptes évoque même dans un rapport de décembre 2022 sur la santé au travail « un dispositif sans ambition et non contrôlé », qui « n’est pas à la hauteur des objectifs qui lui étaient assignés ». En 2020, 16 % des départs à la retraite se faisaient au titre de l’inaptitude, de l’invalidité, de l’incapacité permanente ou du handicap.

Dans les entreprises, l’investissement dans des technologies permet de diminuer l’usure (comme les exosquelettes pour la manutention de charges lourdes dans le secteur logistique ou les rails de portage dans les hôpitaux), mais ces technologies n’ôteront jamais totalement la pénibilité. Et leur coût reste élevé. Quant à la pénibilité ou à l’usure psychologique, elle demeure pour l’heure un chantier immense. Alors que les troubles psychologiques sont la deuxième cause des arrêts maladie en 2022, représentant 20 % de ceux-ci (contre 11 % en 2016, selon la Revue de santé mentale de septembre 2022) et que la santé mentale est devenue un sujet en entreprise depuis la crise Covid et le premier confinement, comment en faire un critère de pénibilité ?

Le gouvernement souhaite laisser aux branches la charge d’évaluer la pénibilité et aux entreprises celle de la prévenir. Le système de retraite arriverait, lui, en fin de carrière, pour la corriger. Mais une assistante maternelle qui a connu 40 ans de bruits, de cris et de ports d’enfant pourra-t-elle tenir jusqu’au nouvel âge de la retraite ou bénéficiera-t-elle d’une possibilité de reconversion ou d’un départ anticipé ?

Envisager une carrière en deux temps

Enfin, le plan national de santé au travail 2021-2025, dont l’enjeu est « d’améliorer durablement la santé de travail de chacun et de prévenir des risques professionnels », favorise « la logique de la prévention par rapport à la logique de réparation » et veut « renforcer la prévention en santé au travail ». « Les entreprises sont confrontées à une situation complexe. Les salariés s’arrêtent souvent avant d’avoir atteint l’âge qui leur permettrait de basculer dans le dispositif de pénibilité. Ils basculent en invalidité car ils sont cassés par le travail. Cela a un coût », analyse Didier Cauchois, expert du dialogue social chez LHH. Pour lui, le système de C2P est « perfectible », mais les entreprises doivent surtout être accompagnées pour réfléchir à des conditions de travail qui permettent d’atteindre l’âge de la retraite. « Il faut avoir le courage de dire que dans certains métiers, à 45 ans, la personne ne pourra plus l’exercer, cela doit être prévu depuis le début de carrière. Le salarié doit savoir que passé cet âge-là, il changera de métier et qu’il sera accompagné pour cela », indique l’expert. Il met cependant en garde : « On ne devient pas standardiste au téléphone après avoir été ouvrier du bâtiment du jour au lendemain, dit-il. Nous pensons, en France, en termes d’indemnité, alors qu’il faut être opérationnel : envisager une carrière en deux temps est une solution. » Il s’empresse d’ajouter que les entreprises ne peuvent gérer seules cette question. « Il faut travailler sur des périmètres plus larges, sur des bassins d’emplois, avec les collectivités, notamment, précise-t-il, ce qui exige davantage d’anticipation. »

Le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) avait été créé lors de la réforme des retraites de janvier 2014. Que deviendra son descendant dans la réforme 2023 ? Son sort n’est pas réellement tranché pour le moment.

Auteur

  • Lucie Tanneau