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Focus : Les femmes, grandes oubliées de la pénibilité

Le point sur | publié le : 20.03.2023 | L. T.

Temps partiels, carrières hachées et exposition à des facteurs de risques sont moins bien reconnus dans le système actuel de compensation de la pénibilité au travail. Or ce phénomène touche largement les femmes.

Véronique est assistante maternelle depuis 18 ans. Elle garde, à Troyes, des enfants de moins de 3 ans (et jusqu’à 6 ans le mercredi) chez elle, chaque jour de la semaine. Avec quatre agréments, elle peut garder deux bébés de moins de 2 ans et deux enfants plus grands. Un travail avec des amplitudes horaires larges (qui dépendent des horaires de travail des parents), des contraintes physiques (les bébés à porter) et une charge mentale élevée (repas, change, médicaments à donner au besoin). Le tout pour un salaire très variable (selon le nombre d’enfants gardés, les contrats, etc.). C’est Nanou, en région parisienne, qui garde aussi quatre enfants et exprime les difficultés de la profession sur un forum virtuel. Selon elle, son métier est « oublié pour un bon nombre de choses : médecine du travail, complémentaire santé, indemnité de départ à la retraite. Mais le pompon, c’est qu’il n’est pas considéré comme “profession à caractère de pénibilité” ». La nounou a calculé. « J’ai pesé les quatre enfants que je garde. J’ai pris une feuille, fait quatre colonnes. Chaque fois que je portais un enfant : pour un câlin, un change, pour le poser ou le retirer d’une chaise, de la poussette, dans le lit pour la sieste, sur les toilettes… J’ai fait une croix à chaque fois. À la fin de la journée, j’ai compté, multiplié par le poids et additionné les colonnes : 975 kg portés en une journée, quasiment une tonne ! Notre squelette souffre, en passant de la position accroupie, puis penchée ou agenouillée. Personne n’a idée des charges que l’on porte. »

Malgré cela, les assistantes maternelles (dont 97 % sont des femmes, ndlr), pour qui les parents sont des particuliers employeurs qui ne déclarent pas de pénibilité, n’ont pas accès au compte professionnel de prévention (C2P).

Ces inégalités de traitement ont été dénoncées à l’Assemblée nationale au premier jour de l’examen de la réforme des retraites par la députée LFI du Val-de-Marne, Rachel Keke, le 6 février dernier. « Vous ne comprenez pas la dure vie des gens, à quel point il y a des métiers difficiles. Vous ne comprenez pas ceux qui disent avoir mal au dos au réveil, ceux qui prennent des médicaments pour pouvoir tenir au travail », a tonné l’ancienne femme de ménage de l’Ibis des Batignolles. Et elle a enfoncé le clou : « Vous ne comprenez pas (la pénibilité) parce que vous ne la vivez pas », a-t-elle reproché à ses collègues députés en citant les cas de Sylvie, femme de ménage de 57 ans qui dit ne pas savoir si elle tiendra jusqu’à 60 ans, de Valérie, une caissière de 55 ans dont le corps est fatigué, et de Nadia, une aide-soignante qui se demande : « Je dois aider les gens, mais avec deux années de plus, qui va m’aider ? ».

Références masculines

Derrière ces situations particulières de femmes et cette parole, rare, sur les bancs de l’Assemblée, un constat : les femmes sont moins protégées que les hommes par le système actuel de compensation de la pénibilité. Plusieurs raisons à cela. Les facteurs de pénibilité retenus par la loi concernent en majorité des milieux traditionnellement masculins (les températures extrêmes en chaudronnerie, par exemple, ou le bruit dans certaines industries). Le travail de nuit, répétitif ou en équipe successive alternante concernent des salariés quel que soit leur sexe, mais la fréquence et les seuils d’expositions retenus excluent un certain nombre de femmes, du fait de temps partiels. Or plus d’un quart des femmes salariées sont à temps partiel en France (28,1 %, selon la Dares, en 2021). « Les biais de genre ont généré des points aveugles dans les connaissances des risques professionnels », confirme Émilie Counil, chargée de recherche à l’Ined, pour qui les problèmes de santé des femmes au travail « demeurent largement invisibilisés. Cela contribue à alimenter les inégalités sociales en matière de prévention et de reconnaissance des atteintes à la santé liées au travail », dit-elle. « Pour les femmes, à exposition identique, la reconnaissance est moindre. Elles sont particulièrement concernées par des types de pénibilité, comme les gestes répétitifs, qui sont les moins bien reconnus », confirme aussi Thomas Coutrot, ancien économiste de la Dares.

Premières victimes des RPS

Au Sénat, la délégation aux droits des femmes travaille à un rapport d’information sur la santé des femmes au travail. Les auditions menées dans ce cadre permettent de mettre en avant des données : « Quelque 58 % des salariés souffrant de troubles musculo-squelettiques sont des femmes. Elles sont également les premières victimes des risques psychosociaux, auxquels elles sont de plus en plus exposées dans leur vie professionnelle. Et si certaines expositions professionnelles sont connues pour être spécifiquement à risque pour les femmes, à ce jour, seul le cancer du sein a fait l’objet d’une labellisation spécifique par la Haute Autorité de santé », relève notamment la délégation. En outre, « au travail, les spécificités de genre des femmes ne sont pas prises en compte. Les créations de postes sont souvent normées sur des mesures masculines, ce qui génère des maladies professionnelles chez les femmes », dénonce de son côté Carole Donnay, secrétaire générale de l’Association de médecins responsables nationaux de services de médecine du travail d’entreprise (Acomede). Elle cite le secteur de la production ou de la logistique où la conception de poste de ligne de montage se fonde sur des références anthropométriques masculines. « Les postes sont peu adaptés aux gabarits des femmes, qui se retrouvent plus enclines à développer des troubles musculo-squelettiques. Cela joue sur l’avancement de leur carrière : moins productives du fait d’un matériel non adapté, les femmes se retrouvent limitées à certains postes », constate-t-elle. Elle regrette aussi une prévention des risques psychosociaux à deux vitesses. Dans le secteur du BTP, majoritairement masculin, des matériaux comme l’amiante ont été dénoncés et interdits. « En comparaison, l’exposition aux produits chimiques et toxiques dans les secteurs du soin à la personne ou du nettoyage, majoritairement féminin, a été banalisée », dénonce-t-elle.

Pénibilité psychique

« Les femmes sont aussi particulièrement concernées par la pénibilité psychique, dans les métiers face au public avec peu de marges de manœuvre », ajoute Thomas Coutrot. Dans une enquête de 2018, l’Assurance maladie dénombrait que 60 % des salariés en burn-out étaient des femmes, travaillant généralement dans les secteurs médico-sociaux, le commerce, les services. Dans une tribune publiée fin janvier, des psychologues s’étonnaient que « la notion de pénibilité soit encore réduite à la question des corps meurtris, sans tenir compte des psychismes malmenés »… Les signataires dénoncent en outre une définition qui semble « encore et toujours renvoyer aux métiers physiques, manuels et masculins, en laissant de côté la dimension de la charge mentale qui caractérise souvent les professions féminines ». « Pas pénible, l’emploi de l’auxiliaire de vie qui travaille très tôt le matin sur des tranches de deux heures pour trois personnes différentes sur des lieux éloignés ? De l’auxiliaire de crèche ? De l’enseignante ? De la secrétaire qui jongle entre plusieurs postes et est continuellement interrompue dans sa tâche ? », interrogent-ils. Toutes les professions dites du care, et plus largement de l’accompagnement, sont particulièrement concernées par la question de la charge mentale, rappellent-ils, alors que les troubles psychologiques sont la deuxième cause des arrêts maladie en 2022.

Maltraitance organisationnelle

Pour Anne-Michèle Chartier, présidente du Syndicat général des médecins et des professionnels des services de santé au travail (CFE-CGC), « il existe, dans le travail des femmes, une maltraitance organisationnelle. » « Dans les métiers du soin à la personne, du ménage, on trouve des violences structurelles, acceptées par la société », dénonce-t-elle, en soulignant la précarité de ces métiers, majoritairement à temps partiel, leur faible rémunération et le peu de reconnaissance qu’ils suscitent tant de la part des employeurs que des clients.

Enfin, avec des carrières hachées, interrompues notamment par les grossesses, les femmes ont aussi plus de mal à faire reconnaître leur exposition. Double exposition, même, pour beaucoup d’entre elles, alors qu’elles cumulent l’exposition à des produits d’entretien, par exemple, dans leur travail et à la maison, où ce sont elles qui effectuent la majorité des tâches domestiques et qui portent la charge mentale associée au foyer.

Auteur

  • L. T.