Réinventer un recrutement performant
Accepteriez-vous de participer à un jeu qui vous demanderait du temps mais dont les gains seraient présentés approximativement, dont les règles ne seraient pas exposées, dont les autres participants seraient invisibles, dont les arbitres seraient inconnus et dont un seul compétiteur (au maximum) pourrait être le gagnant ? Le bon sens, évidemment, recommanderait d’éviter un investissement dont le retour serait si aléatoire. C’est pourtant ce qui est attendu de ceux qui répondent à une offre d’emploi. Les candidats ne connaissent des postes à pourvoir que ce que l’annonce leur dit. Ils ne savent ni comment leurs candidatures seront examinées, ni par qui, ni quand. Ils ignorent combien d’autres candidats sont en lice, ni quels sont leurs profils. Ils n’ont donc aucun moyen pour estimer leurs chances de succès. Et ces risques du jeu ne leur échappent pas. Notre étude1 montre que 48 % des individus s’auto-éliminent, malgré des compétences adéquates, par crainte du processus du recrutement lui-même. Car être candidat n’est pas un métier : la rhétorique des offres, la mécanique du processus de sélection ou le jeu de l’entretien sont inconnus des postulants. Le vécu majoritaire est celui de l’ascenseur émotionnel : l’enthousiasme de l’opportunité, l’inconfort de l’attente, la frustration de la réponse négative et parfois la colère du sentiment d’injustice. La joie de la réponse positive est possible, bien sûr. Mais ne pas postuler, c’est s’éviter des émotions positives éventuelles et des émotions négatives certaines. Le jeu en valait la chandelle lorsque l’emploi était rare et que la fidélisation n’était pas la priorité. Ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui. Les efforts de transparence dans les offres ou tout au long du processus ne suffiront pas à réinventer un recrutement performant. On pourra encore moins se contenter de déplorer les comportements des candidats et d’en attribuer la cause à des effets de générations ou d’éducation.
Les nouvelles contraintes du marché doivent être l’opportunité de revisiter comment acquérir, développer et engager les ressources humaines. Trois aspects sont à prendre en compte. Le premier, une évidence oubliée : l’espace de l’annonce doit être consacré à une présentation du travail. Combien d’offres sont écrites à partir d’une analyse fine des activités à mener et des compétences qui en découlent ? Il faut ensuite informer les candidats des processus de sélection auxquels ils vont être soumis. Les sites carrières ont largement la place pour le faire. Encore faut-il n’avoir rien à cacher. Le tri automatique des CV par l’IA reste un tabou, sans doute par crainte d’être une source d’inquiétude pour les candidats. Or la technologie est, par définition, moins arbitraire que le jugement humain. Sa vraie place est celle d’un tiers de confiance.
De même pour l’évaluation des compétences : l’étude montre que les candidats redoutent le regard normatif porté sur leurs parcours. Et, en effet, beaucoup de recruteurs font connaissance avec les candidats par le biais des trajectoires. Le CV est un récit biographique. L’entretien est largement structuré autour de l’analyse chronologique des expériences. Or seules les compétences comptent. Le lieu ou les modalités de leur acquisition sont des informations secondaires. Mais comment replacer la compétence au centre de l’évaluation, alors qu’il est si simple d’examiner un récit biographique ? Ici encore, la technologie a un rôle à jouer. Être un tiers de confiance, c’est évaluer scientifiquement et objectivement des compétences. C’est n’être au service ni du recruteur ni du candidat, mais à celui d’un consensus entre les deux.
(1) Should I stay or Should I apply ? Pourquoi répond-on à une offre d’emploi ? HR Insights #8, Chaire Compétences, Employabilité & Décision RH, EM Normandie (février 2023).