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« Les entreprises négligent la fiscalité liée au travail à l’étranger »

À retenir | publié le : 13.03.2023 | Lys Zohin

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« Les entreprises négligent la fiscalité liée au travail à l’étranger »

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Associée au sein du cabinet Viguié Schmidt & Associés, cette avocate en droit fiscal estime que si le mouvement de départs à l’étranger pour télétravailler de façon durable reste encore réduit, il comprend cependant des chausse-trappes à éviter.

Certains pays européens ont invité les salariés à venir s’installer pour télétravailler. Avez-vous noté un mouvement massif dans ce sens ?

Le mouvement existe de façon plus marquée depuis la pandémie, mais il reste encore accessoire. Cela dit, j’ai été sollicitée, au sortir de la crise Covid, par plusieurs clients de type PME ou ETI sur ce sujet. Les entreprises prennent le dossier par le prisme du droit du travail, mais négligent souvent les aspects liés à la fiscalité. Or certains éléments sont aussi à anticiper dans ce domaine.

Quels sont ces éléments ?

D’abord, la plupart des conventions fiscales internationales conclues avec la France prévoient que le revenu du travail est, pour un salarié, taxable sur le lieu de l’exercice de ses fonctions. Or comme la France, de nombreux pays (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, etc.) demandent aux employeurs, même étrangers, d’effectuer des prélèvements à la source pour les impôts sur le revenu du salarié. En outre, le fait qu’un salarié travaille depuis l’étranger pour une entreprise française peut aussi entraîner, en fonction des modalités de travail, de la durée et de la nature de ses fonctions, la constitution de ce que l’on appelle un « établissement stable » de l’employeur à l’étranger, qui aura pour conséquence principale une obligation de payer des impôts dans le pays du télétravail sur une partie des bénéfices de l’entreprise. Si les entreprises sont préparées à cela dans le cadre de l’envoi d’un salarié à l’étranger, avec différents statuts bien établis, elles ne le sont pas forcément lorsque la demande émane du salarié lui-même.

Que conseillez-vous aux entreprises ?

D’abord de cartographier le risque, puis de mettre en place de bonnes pratiques. D’autant que, même s’il existe des principes généraux établis par l’OCDE, la notion d’établissement stable, en particulier, n’est pas universelle ! Cela dépend de chaque pays ou de la convention fiscale conclue avec la France lorsqu’il y en a une. L’OCDE avait d’ailleurs alerté, au sortir de la pandémie, sur ces difficultés et notamment sur le fait que le domicile du télétravailleur à l’étranger pouvait constituer une installation fixe et donc un établissement stable de l’employeur. Deuxième point à vérifier, le statut du salarié. Si celui-ci est un cadre supérieur, engageant la société qui l’emploie dans le cadre de contrats qu’il négocie, les profits générés par ces contrats peuvent être rattachés au pays d’où il téléphone, par exemple. De même, attention, si le salarié négocie sans signer et que la maison mère se contente de ratifier le contrat, l’activité du dirigeant pourra également être considérée comme constitutive d’un établissement stable. Enfin, les innovations des start-up, notamment, qui font l’objet d’une protection au nom de la propriété intellectuelle. Les profits générés peuvent dans certains cas être rattachés au pays du télétravail, autrement dit, là où est installé le salarié qui développe.

Au-delà du respect des réglementations, y a-t-il de bonnes pratiques à mettre en place ?

Oui, pour anticiper tout problème, en plus d’un accord de base sur le télétravail, il est important pour l’employeur de préciser quel processus interne doit être respecté pour qu’un salarié puisse être éligible au télétravail à l’étranger – certaines fonctions, si c’est trop dangereux fiscalement, comme dans le cas d’un dirigeant, pourraient ainsi être exclues ou strictement encadrées. Et bien sûr, des process de suivi régulier doivent aussi exister : l’employeur doit savoir quand et où se trouve le salarié, même si le critère de la durée, dans la définition de résidence, n’est pas décisif. Je rappelle que dans la plupart des conventions, le critère de la durée vient en dernier pour la définition de résidence fiscale. En fait, le télétravail s’étant déployé de façon relativement brutale, lors de la pandémie, les définitions et l’encadrement juridique sont quelque peu en retard. Et si les ressortissants des pays de l’UE n’ont pas de difficulté à obtenir un permis de séjour et de travail dans un autre pays de l’UE ni à bénéficier d’une couverture sociale identique et payée dans le pays où ils travaillent substantiellement, c’est plus compliqué hors UE, puisque cela implique les services d’immigration et fait appel à des dispositifs différents pour la couverture sociale.

Auteur

  • Lys Zohin