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Spécial agriculture

Recrutement : Du savoir-faire au faire-savoir

Spécial agriculture | publié le : 25.02.2023 | Irène Lopez

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Recrutement : Du savoir-faire au faire-savoir

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Face à la pénurie de talents qui touche l’industrie agro-alimentaire française, des marques, fédérées au sein de la communauté Pour nourrir demain ont décidé d’innover : ce n’est plus aux candidats de montrer leur CV, mais aux entreprises de séduire en se présentant sous leur meilleur jour. Et ce jeu du CV inversé semble porter ses fruits…

« Des RTT, un 13e mois, la possibilité de bénéficier d’une prime de participation et d’intéressement, une bonne mutuelle avec une prise en charge partielle de l’employeur, un comité d’entreprise actif (bons cadeaux, organisation de sorties…), la possibilité de prendre les repas gratuitement à la cantine, une ambiance de travail conviviale… » : les équipes de la direction des ressources humaines de Stoeffler, entreprise alsacienne connue pour ses choucroutes garnies, ses pâtes fraîches et ses flammekueches, affûtent leurs armes. Mais malgré tous les avantages mis en avant, le groupe, qui affiche 145 millions d’euros de chiffre d’affaires et emploie 800 personnes sur quatre sites de production autour d’Obernai, peine à recruter. « Pour être au complet, il manque environ 40 personnes chez Stoeffler. Dans les fonctions supports comme dans les usines. Nous avons, par exemple, un fort besoin de conducteurs de ligne et de chefs d’équipe », déclare Alexia Metz, la directrice marketing. « Recruter dans le secteur de l’agroalimentaire est devenu un combat quotidien, et cela à tous les niveaux : à la ferme, à l’usine ou dans les bureaux ! », renchérit Sylvain Zaffaroni, cofondateur de la communauté Pour nourrir demain, qui fédère une cinquantaine de personnalités et représentants de marques alimentaires françaises. Selon l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), près de 30 000 postes ne sont pas pourvus dans ce secteur. « Les difficultés de recrutement rencontrées par les industriels de l’agroalimentaire ne sont pas nouvelles, mais le problème s’est accentué ces derniers mois, du fait notamment de la crise sanitaire. La pénurie de main-d’œuvre se fait particulièrement sentir dans les régions où le taux de chômage est faible et où ces entreprises sont concurrencées à l’embauche par d’autres, dans d’autres secteurs », précise Louis-Simon Faure, président de Leaderia, cabinet de recrutement agroalimentaire et conseil RH. C’est le cas de l’Alsace, où l’agroalimentaire est concurrencé par l’industrie pharmaceutique. Et les conditions de travail dans les unités de production et de transformation agro-alimentaire n’arrangent rien. « Certains candidats nous disent qu’il fait froid dans l’usine, relève Alexia Metz. Et c’est vrai : la température avoisine les quatre degrés… » Vêtements appropriés et primes ne réussissent pas à franchement changer la donne. Les nouvelles recrues ont du mal, même si certains anciens, et ils ne sont pas rares, affichent, eux, 40 ans de bons et loyaux services chez Stoeffler.

Repenser les codes

La communauté Pour nourrir demain, qui regroupe une vingtaine de marques, de Danone à D’aucy, cherche d’abord à aider les entreprises du secteur à améliorer leurs produits pour que tous les citoyens puissent mieux manger. Mais au-delà d’une réflexion et d’un partage de bonnes pratiques, l’une des réunions a vu émerger récemment une idée originale. Puisque recruter est un défi permanent, pourquoi ne pas renverser la vapeur et proposer aux candidats potentiels le « CV » de l’entreprise ? « Ces marques ont compris que pour attirer de nouveaux talents, il fallait repenser les codes, explique Sylvain Zaffaroni. C’est pour cela qu’elles se sont prêtées au jeu du CV inversé. » Avec une volonté, celle d’agir de façon inédite et de recruter différemment pour enrichir leurs organisations de profils qui sauront réinventer les modèles alimentaires. Dans ces CV, on retrouve la mission, l’histoire, les valeurs, les centres d’intérêt et la culture de l’entreprise.

« L’objectif est de faire comprendre aux candidats que ces entreprises sont en marche pour écrire l’avenir de l’alimentaire et que pour ce faire, elles ont besoin de nouvelles personnalités, en phase avec leur environnement, leur époque et les enjeux actuels », ajoute-t-il. Les « CV inversés de l’agro » présentent donc, à l’instar d’un CV de candidat, de manière factuelle, une vision de ce qu’est l’entreprise, ses choix stratégiques, son état d’esprit et son impact sur la société. Qui elle est, en somme. Le CV de Stoeffler met ainsi en avant ses valeurs, sa responsabilité sociale et environnementale (RSE), le « très bien manger », les savoir-faire ancestraux, son engagement vers davantage de naturalité et moins d’additifs… « Aujourd’hui plus que jamais, les candidats attendent des entreprises des actes et des engagements et les entreprises qui ont participé à l’opération CV inversés l’ont bien compris », analyse Sylvain Zaffaroni.

Aoste, la pionnière

« Le groupe ne souffre pas d’une pénurie criante, mais nous sommes tout de même dans un contexte tendu. Trente postes sont en permanence ouverts », indique de son côté Vincent Rocher, responsable développement durable et RSE d’Aoste, une entreprise spécialisée dans la charcuterie, qui emploie 1 400 personnes réparties sur quatre usines et un siège administratif à Lyon. Sont recherchés des opérateurs en production, des commerciaux, des comptables… Vincent Rocher ne demande qu’à déconstruire les idées reçues sur le monde industriel (métiers difficiles, charges lourdes, environnement bruyant)… « Nous accompagnons systématiquement nos salariés. Par exemple, nous adaptons les lignes pour les personnes en situation de handicap, pour remédier aux problèmes de mal de dos, nous testons des exosquelettes », enchaîne-t-il, pour conclure : « Nous avons une expertise très forte et un formidable savoir-faire, mais nous sommes mauvais quant au faire-savoir. Nous ne savons pas communiquer en tant que secteur. » Les équipes d’Aoste ont accepté d’être pilotes et de rédiger le premier CV inversé. Elles se sont réunies autour d’une table et, sur une feuille blanche, ont listé les messages à faire passer : l’excellence opérationnelle, la sécurité alimentaire, la culture d’entreprise, le fort ancrage local, les engagements RSE…

Les CV inversés sont consultables sur www.cv-inverse.fr. L’expérience vient juste d’être lancée. Il est sans doute un peu tôt pour juger de son efficacité. Il n’empêche, en deux semaines, Aoste a déjà reçu 140 CV de candidats et Stoeffler en reçoit une vingtaine par jour ! Beaucoup d’experts en marketing et d’ingénieurs qualité pour le leader de la choucroute, nombre de candidats pour la supply chain chez le spécialiste de la charcuterie. Certains candidats ont d’ores et déjà été contactés et des embauches devraient vraisemblablement avoir lieu dans un avenir proche. Face au succès des CV inversés de l’agro, d’autres secteurs pourraient vouloir imiter le dispositif. Sylvain Zaffaroni réfléchit d’ailleurs sérieusement à le faire essaimer.

Auteur

  • Irène Lopez