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Spécial agriculture

Formation : De moins en moins de « fils de » dans les lycées agricoles

Spécial agriculture | publié le : 25.02.2023 | Lucie Tanneau

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Formation : De moins en moins de « fils de » dans les lycées agricoles

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Il y a trente ans, la grande majorité des élèves de l’enseignement agricole étaient des garçons, fils d’agriculteurs. Aujourd’hui, les classes se féminisent et se diversifient. Des étudiants, plus âgés, en reconversion professionnelle, notamment, rejoignent aussi les rangs, en partie grâce à de nouvelles filières. Et nombreux sont ceux et celles qui veulent faire du bio.

Inscrite depuis octobre dernier en filière « CS PAPAM », un certificat de spécialisation en plantes à parfum, aromatiques et médicinales, Morgan Ballinger, 24 ans, est étudiante au lycée agricole du Fresne, à Sainte-Gemmes-sur-Loire, non loin d’Angers (Maine-et-Loire), après avoir été coiffeuse. « Nous ne sommes pas dans l’agricolo-agricole traditionnel », sourit Éric Duclaud, le directeur d’exploitation de ce lycée horticole parmi les plus reconnus de France, qui compte 850 élèves (500 au lycée, 250 au centre de formation des apprentis et 150 en formation continue). C’est ce directeur d’exploitation qui est à l’origine de la nouvelle formation plantes médicinales dans laquelle est inscrite Morgan. Par sa spécialisation horticole, l’établissement se distingue des lycées agricoles classiques, dotés d’une ferme. Et Éric Duclaud constate – comme dans les autres lieux d’enseignement agricole, d’ailleurs – un changement dans le profil des élèves.

Davantage de « Nima »

« Il y a vingt ans, nous avions beaucoup d’élèves issus des campagnes, dont les parents ou grands-parents étaient exploitants agricoles, dit-il. Aujourd’hui, nous avons nettement moins de fils d’agriculteurs et beaucoup plus de “Nima” ». Comprendre : non issus du milieu agricole. Pour plusieurs raisons. D’abord, « avec l’augmentation des surfaces par exploitation agricole, il y a de moins en moins d’agriculteurs en France », poursuit Éric Duclaud, pour ajouter dans la foulée : « Mais aussi de moins en moins de terres disponibles pour ceux qui voudraient s’installer. Le risque, c’est que la France ne puisse plus un jour nourrir les Français. » La seule région Pays de la Loire a perdu 8 000 fermes en dix ans, selon le dernier recensement de la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) en 2021. Le profil des exploitants a aussi évolué : un niveau de qualification plus élevé, davantage de femmes et, de plus en plus, le choix de travailler en bio et de vendre les produits en circuits courts – même si ce modèle reste encore minoritaire. Enfin, logiquement, près de la moitié des nouveaux exploitants sont installés en dehors d’un cadre familial, contre 29 % il y a dix ans.

Autre raison du changement de profil des futurs acteurs de la production agricole ou horticole, la sensibilisation de plus en plus grande au respect de l’environnement. « Nos étudiants veulent tous s’installer sur de petites surfaces, en maraîchage biologique », indique ainsi Éric Duclaud, qui craint que beaucoup ne trouvent pas les terres nécessaires ni, surtout, les débouchés, le département du Maine-et-Loire étant déjà saturé. En outre, la crise économique pourrait restreindre le marché du bio.

Depuis 2015, le bio fait partie des programmes imposés aux lycées agricoles. « L’État réforme les programmes, mais cela ne va pas assez vite. Nous avons ajouté le mot environnement derrière tous nos intitulés, mais l’image des lycées agricoles n’est pas bonne », regrette le directeur d’exploitation du lycée du Fresne. En fait, le virage bio de son établissement était d’abord « une demande des enseignants et les élèves viennent pour ça », assure-t-il. Il a ainsi développé un espace en maraîchage bio pour des entrepreneurs, en phase de test depuis 2018. En plus des parcelles en bio et de la formation aux plantes médicinales, un réseau d’initiatives locales a été mis sur pied et chaque jeudi après-midi est consacré à des activités pluridisciplinaires, notamment des visites d’entreprises – afin « d’ouvrir les esprits », dit-il. Un moyen, aussi, de se faire connaître auprès de candidats potentiels.

Des effectifs en baisse

Car les effectifs diminuent – « il y a quelques années encore, nous avions 400 demandes pour 30 places, aujourd’hui, beaucoup moins », relève ainsi Daniel Maillié, enseignant dans les filières des métiers du paysage au lycée du Fresne. Et les établissements d’enseignement agricole cherchent de nouveaux élèves. Reste à les séduire… En outre, « les jeunes veulent entrer plus vite dans la vie active et être indépendants financièrement plus rapidement », poursuit le professeur. Au-delà du fait que les jeunes ne rêvent plus d’agriculture intensive et exigent du bio et de l’agro-bio, « ils ont du mal avec la technicité. En horticulture, les serres modernes ne les branchent plus, ils veulent du low tech (technologies simples, peu onéreuses, accessibles à tous et facilement réparables, NDLR) », note-t-il, alors que le lycée du Fresne a inauguré, en septembre 2021, 2 500 mètres carrés de serres pédagogiques de production et d’expérimentation ultramodernes, dans lesquelles la région a investi plus de deux millions d’euros.

C’est néanmoins sous ces serres que Morgan Ballinger et ses 12 camarades de promotion apprennent notamment le conditionnement des plantes médicinales. « Dans la promo, on a entre 20 et 42 ans, et il y a quatre hommes, c’est cool », s’enthousiasme la jeune femme. Pour elle, cette formation, rémunérée, est une chance. « C’est très sélectif et je n’avais pas le niveau scolaire, mais mon expérience a été prise en compte et j’ai été admise », se félicite-t-elle. Entre son travail dans les salons de coiffure, dont l’ambiance lui déplaisait, et sa formation agricole, Morgan a en effet fait les « saisons ». « Depuis cinq ans, je travaille dans des fermes », explique-t-elle. C’est son goût pour le travail de la terre qui l’a décidée à chercher une formation dans ce domaine. « Je suis fascinée par le fait que l’on puisse se soigner avec les plantes », dit-elle. Sa vie en camion lui permet de s’installer où bon lui semble et le lycée du Fresne est donc une opportunité pour cette fille de militaires, habituée à bourlinguer. « Mais mon grand-père avait un jardin et nous avons toujours été autosuffisants en légumes », précise-t-elle, signe que le rapport aux origines et à la terre est encore marqué en établissements d’enseignement agricole…

Formations continues

Celui du Fresne accueille particulièrement ces nouveaux profils dans ses formations continues pour adultes au CFPPA (Centre de formation professionnelle et de promotion agricole) de Segré-en-Anjou, un établissement annexe, au nord du département du Maine-et-Loire. « Nous avons formé un ancien ingénieur aéronautique de chez Airbus, un ancien de la logistique…, énumère ainsi Éric Duclaud. Ils veulent apprendre chez nous la technique et cherchent à monter leur affaire. Mais le problème de la terre se pose toujours. Et si l’ancien de la logistique a bien réussi, c’est aussi que sa famille et sa belle-famille avaient des terres. »

Morgan Ballinger aimerait quant à elle « s’installer, peut-être à plusieurs – j’ai un copain qui voudrait monter une chèvrerie, dit-elle. Mais pas tout de suite ». La jeune femme sait que ce ne sera pas facile. « Je n’ai pas de diplôme agricole, donc je n’aurais pas droit aux aides à l’installation (dotation Jeunes Agriculteurs, NDLR) », soupire-t-elle. En attendant, elle part en stage pour quelques semaines, avec son camion, près de Nantes, chez Pierre Cajelot, des Gardiennes de la Terre, une exploitation de production et de transformation de tisanes et teintures mères. « Ça va être super, ils font aussi de l’agroécologie, de l’agroforesterie et de la distillation : cela va me permettre de compléter ma formation, car il n’existe pas une méthode type », se réjouit-elle, vantant un métier qui a « du sens » pour elle.

Manque de salariés

« Nous sommes à un tournant. Les jeunes générations veulent plus de sens et moins de contraintes… Mais nous leur disons aussi que la technologie peut permettre d’être plus libre : on travaille avec le vivant, mais l’arrosage peut être piloté à distance », relève encore Éric Duclaud, tout en regrettant que de plus en plus de jeunes se détournent du salariat alors que les exploitations, notamment les grandes entreprises maraîchères de l’Ouest, peinent à trouver de la main-d’œuvre. « L’an dernier, l’une des grosses structures locales recherchait 17 personnes en CDI, j’ai proposé au dirigeant de venir présenter son exploitation, mais je lui ai aussi conseillé de ne pas évoquer le CDI : cela fait peur aux jeunes, désormais ! », ajoute-t-il. Bientôt à l’âge de la retraite, il quittera le lycée à la fin de l’année et note que l’évolution de l’enseignement suit son chemin. Doucement, cependant. De fait, alors qu’au lycée du Fresne, la direction voudrait développer un bac pro « Faune sauvage », pour attirer de nouveaux candidats, elle se heurte aujourd’hui à la résistance des enseignants en paysage et en commerce. La bataille du nouveau monde contre l’ancien n’est pas terminée…

Auteur

  • Lucie Tanneau