Recruter, c’est d’abord… décourager les candidats, rappelle Jean Pralong, professeur de l’EM Normandie et pilote de l’étude « Pourquoi répond-on à une offre d’emploi ? ». Il livre les pistes pour aider les recruteurs à susciter plus de candidatures.
S’agissant des offres d’emploi, il est toujours surprenant de constater qu’à aucun moment ne sont pris en compte les besoins du postulant potentiel. C’est comme si une entreprise concevait un produit sans aucune étude des besoins de ses consommateurs… Se pose alors la question de l’objectif de l’annonce. S’agit-il de « vendre du rêve » pour attirer un maximum de candidats – en supposant que la quantité permettra de sélectionner les meilleurs ? Ou, au contraire, d’harponner immédiatement les meilleurs avec des critères très précis afin de favoriser une auto-sélection parmi ceux qui liront l’offre ? La plupart du temps, c’est le premier schéma qui prévaut, car les recruteurs veulent pouvoir effectuer un tri parmi un grand nombre de candidats. Mais, implicitement, les recruteurs espèrent attirer le « quart supérieur » des candidats, ceux qui ont un parcours linéaire, sans accroc, c’est-à-dire ceux que tous les managers espèrent recruter. Pourquoi ? Parce que les entreprises veulent réduire leur prise de risque.
Les concepteurs d’offres d’emploi mésestiment deux éléments. D’abord, ils évoquent peu le métier du postulant, car ils connaissent peu les métiers, en fait, d’où la faible valorisation des critères – ressources, cadre de travail, etc. – permettant au candidat de déterminer s’il pourra réaliser un travail de qualité. Pour qu’un travail ait un sens, il faut qu’il se rapproche de l’idée que se fait le candidat d’un travail bien fait, en accord avec son éthique. C’est malheureusement l’angle mort de beaucoup d’annonces. Le deuxième élément que mésestiment les concepteurs d’offres d’emploi est la sélection. Ces rédacteurs passent totalement sous silence le processus par lequel va passer le candidat. Or c’est une épreuve pour beaucoup d’entre eux, ce qui les conduit logiquement à se demander si le jeu en vaut la chandelle. Pour intégrer un poste, un candidat doit envisager d’abord de consacrer de l’énergie à candidater, puis, s’il n’est pas retenu, à surmonter sa déception, qui sera d’autant plus forte qu’il se sera largement projeté dans le poste proposé. Cet « ascenseur émotionnel » est encore plus pénible pour les personnes qui sont sans emploi et recherchent un poste. Cette épreuve les conduit à réduire le risque d’avoir à vivre ce type d’émotion négative.
Les recruteurs doivent se rappeler que les candidats se retrouvent dans une compétition dont quasiment tous les paramètres leur sont inconnus. Ils n’ont aucune idée de l’intensité de la compétition, ni de sa durée, ni des pratiques réelles des recruteurs. À cela s’ajoute la question de la « qualité de carrière ». Les candidats pensent qu’un parcours professionnel traditionnel, linéaire, sans période de chômage, est plus conforme et plus séduisant pour les recruteurs qu’un parcours plus haché. Ils craignent d’être évalués à travers leur parcours, qui sera utilisé comme « marqueur » de leur instabilité ou de leur engagement vis-à-vis de l’entreprise. Et ils ont raison, mais cela pose un problème : c’est que le parcours ne dit rien des compétences. Une personne peut avoir eu un parcours haché pour des tas de motifs et pour autant avoir les compétences recherchées et avoir été performante lorsqu’elle était en poste.
Les recruteurs doivent évaluer les candidats non sous l’angle des parcours, mais sous celui des compétences. Et ils doivent le faire savoir ! Les candidats sauront ainsi que ce sont leurs compétences qui seront évaluées, indépendamment de leur lieu et mode d’acquisition. Depuis dix ans, les entreprises ont de nouveau créé des postes de recruteurs alors que ces services avaient parfois été dissous dans le passé. Les recruteurs qui y travaillent sont mieux formés que leurs prédécesseurs et sont sensibilisés à la question des discriminations. Ils sont donc intrinsèquement capables de prendre de bonnes décisions… mais ils sont jeunes et tributaires de la décision du manager, leur client interne. L’avis final du manager vient « polluer » le travail des recruteurs, car son avis est celui qui va le plus peser dans la décision alors qu’il n’est pas un spécialiste du recrutement.
Il faut instituer des tiers de confiance, c’est-à-dire des outils, digitaux ou non, qui permettent d’établir une évaluation objective, mesurant les compétences, et non normative, établissant l’écart par rapport au candidat idéal. Cette évaluation aurait l’avantage d’être créatrice de consensus pour toutes les parties prenantes. Le recruteur pourrait alors confirmer au manager que tel candidat a bien les compétences attendues. Le candidat pourrait aussi découvrir des compétences ignorées ou sous-estimées. Et c’est aussi un moyen de contourner la difficulté que peuvent avoir certains candidats à verbaliser et valoriser leur expérience, des capacités que développent surtout les cadres.
D’abord lui dire quel type de candidat il est possible de trouver sur le marché. Ensuite, partir de la demande du manager, qui vise toujours un candidat idéal, pour cerner ses besoins réels. Ce travail de traduction de la demande en besoins permet de cadrer les choses et de limiter les risques, comme la recherche du « mouton à cinq pattes » – par essence introuvable. Ce processus permet au recruteur d’affirmer son expertise et d’aboutir avec le manager à un consensus sur le candidat qu’il faut rechercher et recruter. La deuxième étape consiste à faire appel à des tiers de confiance (outils digitaux, exercice de simulation, etc.). Cela permet une évaluation objective des compétences du candidat tout en évitant les échanges entre les opinions respectives du recruteur et du manager sur le candidat. Ensuite, il faut accompagner le candidat pour ne pas le laisser seul face au manager. De mon expérience dans le recrutement, j’ai été frappé de constater qu’un candidat était très souvent jugé sur une simple phrase, parfois. Le recruteur doit rappeler le contexte et les aléas propres à un entretien, qui est, par nature, stressant. Le candidat aurait pu dire les choses autrement. Qu’un candidat soit stressé ne signifie pas automatiquement qu’il est anxieux… Il existe aujourd’hui une double incompréhension. D’un côté, les entreprises ont des besoins de long terme, mais s’imaginent que les candidats ne souhaitent pas s’engager sur le long terme ; de l’autre, les candidats craignent, s’ils manifestent leur souhait de CDI, de passer pour des gens manquant d’agilité. Le paradoxe, c’est que tout le monde veut la même chose, mais personne ne le dit parce que chacun sent que ce n’est pas ce qu’il faut dire ! Les entreprises connaissent très mal les candidats, essentiellement à travers des stéréotypes ou des lieux communs, qui sont en décalage par rapport à la réalité. Et c’est un vrai sujet. Faute de temps et de moyens, les entreprises ne se fondent que sur des suppositions…