Le cumul emploi-retraite recouvre des situations variées. Certaines dispositions limitent le développement de ce dispositif – qu’il importe surtout de préparer pour l’adopter…
Selon l’enquête emploi de l’Insee, 482 000 personnes âgées de 55 ans ou plus, résidant en France, cumulaient une activité professionnelle avec une pension de retraite en 2018. Elles représentaient 3,4 % de l’ensemble des retraités de 55 ans ou plus. D’autres sources, comme l’enquête annuelle auprès des caisses de retraite (EACR), l’échantillon inter-régimes de retraités (EIR) ou l’échantillon inter-régimes de cotisants (EIC), donnent des chiffres légèrement différents et plus élevés, mais cela est dû à ce que les définitions retenues sont plus larges. On prend, en fait, généralement les statistiques de l’Insee comme évaluation du nombre des retraités actifs. Et si cette population a tendance à croître légèrement ces dernières années, il s’agit, en tout état de cause, d’un pourcentage relativement faible de l’ensemble des retraités. Mais encore faut-il distinguer par tranches d’âge. Fort logiquement, c’est entre 55 et 59 ans que l’on trouve le plus grand nombre de cumulants : 24,8 % du total, en augmentation de 5,5 % par rapport à la précédente enquête. Ensuite, ce pourcentage diminue nettement : 6,7 % des 60-64 ans, 4,6 % des 65-69 ans et seulement 1,3 % des 70 ans et plus sont dans cette situation. Les retraités actifs sont donc d’abord des seniors relativement jeunes.
Par catégories socioprofessionnelles, les cadres salariés dominent (24,7 % du total, 3,5 % de plus que les seniors en emploi) et le vaste ensemble des commerçants, artisans, chefs d’entreprise et exploitants agricoles (22,5 %, contre 13,1 % des 55 ans et plus qui travaillent). Si ces deux premières catégories sont surreprésentées, elles pèsent au total moins de la moitié des retraités actifs, infirmant ainsi l’idée reçue selon laquelle les cumulants se recruteraient en majorité parmi les couches aisées de la population française. Reste la question du genre… En effet, près d’un tiers (32,7 %) des hommes qui ont un emploi tout en touchant une pension sont cadres ou assimilés, ce qui n’est le cas que de 13,7 % des femmes. Ajoutons que plus d’une retraitée sur deux (52 %) en situation de cumul est employée ou ouvrière, contre seulement 26 % des hommes… Par ailleurs, les emplois exercés par les retraités sont en très grande majorité à temps partiel (quatre sur cinq pour les femmes, trois sur cinq pour les hommes), et souvent moins qu’un mi-temps.
Le cumul emploi-retraite est-il un dispositif d’avenir ? « La possibilité de cumuler une pension et une activité fonctionne bien et est particulièrement utile pour les entreprises en manque d’expertise : elles s’enrichissent de collaborateurs qui, bien qu’ils aient pris leur retraite, sont très compétents. Avoir quelqu’un qui a de l’expérience et l’énergie pour continuer à travailler, c’est un vrai plus pour une organisation. Et c’est aussi un avantage pour le salarié, puisqu’il cumule deux revenus », déclare une responsable des ressources humaines dans un cabinet d’audit, pour ajouter : « Toutefois, les plus à même d’en profiter seraient davantage les cadres, de nombreux métiers, notamment manuels, laissant ceux et celles qui prennent leur retraite fatigués, voire cassés et sans envie de continuer… »
En fait, il y a aussi une autre catégorie de retraités qui travaillent : des employés ou des ouvriers (souvent, d’ailleurs, des employées ou des ouvrières…) ayant avant tout besoin de maintenir une activité dans le but de compléter une pension modeste, voire dérisoire… C’est une population que connaît bien Jean-Emmanuel Roux, le fondateur de TeePy Job, plateforme spécialisée dans la recherche d’emploi des plus de 50 ans (lire p. 12). « Les personnes qui perçoivent des pensions leur permettant à peine de vivre sont beaucoup plus nombreuses qu’on ne le pense, surtout avec les difficultés que l’on connaît actuellement, du fait, notamment, de l’inflation. Pour nombre d’entre elles, heureusement, il existe beaucoup de postes non pourvus et ces retraités bénéficient du regain d’intérêt des entreprises pour les seniors », dit-il. « Parmi les clients que nous conseillons, le cumul emploi-retraite est bien plus répandu que dans la population générale, puisqu’il concerne plus de la moitié d’entre eux, indique de son côté Marilyn Vilardebo, présidente et fondatrice d’Origami &Co, cabinet spécialisé dans l’audit des droits à la retraite, qui conseille principalement des chefs d’entreprise, des salariés dirigeants, des professions libérales, des expatriés et des commerçants. Nous les accompagnons pour leur donner des recommandations personnalisées, d’autant plus nécessaires que ce sont souvent des personnes qui n’ont pas eu de carrière linéaire. Mais même les salariés classiques, la majorité, en fait, peuvent avoir besoin de conseils. Ils sont nombreux à liquider leur retraite à taux minoré et perçoivent en conséquence des pensions modestes… »
De fait, la retraite se prépare. Et c’est vrai pour tous, dont ceux qui veulent cumuler pension et emploi. En vérifiant d’abord la carrière, pour voir s’il manque des trimestres ou s’il y a des anomalies – et c’est souvent le cas. « En outre, ajoute-t-elle, pour ceux et celles qui veulent cumuler emploi et retraite, il est impératif de liquider la pension de retraite à taux plein et à l’âge légal. Dans ce cas, les restrictions sont limitées. Mais si ce n’est pas le cas, si la liquidation se fait à taux minoré, par exemple, vos revenus d’activité peuvent être plafonnés (ils ne doivent pas dépasser la moyenne mensuelle des revenus d’activité des trois derniers mois). Enfin, s’il n’y a pas de délai de carence en cas de nouvel employeur, il y en a un, de six mois, en cas de réembauche chez l’ancien employeur. » En somme, pour Marilyn Vilardebo, « ce plafond en cas de retraite liquidée à taux minoré et le fait de cotiser désormais à fonds perdus sont des obstacles au développement du cumul emploi-retraite. »
Il est question, dans le cadre du projet de réforme des retraites en cours, de permettre que ces cotisations ouvrent de nouveaux droits, « mais cela me paraît difficile à réaliser », conclut-elle. Quant à la responsable des ressources humaines du cabinet d’audit, elle pointe les mêmes obstacles, tout en ajoutant que le dispositif serait plus attrayant s’il prévoyait aussi des avantages pour les employeurs…