Modèle de dialogue social, le pays, et en particulier la province du Québec, évite à tout prix les conflits sociaux grâce à la médiation ou une négociation en amont.
« Au Canada, la paix sociale est la règle. Les manifestations des camionneurs à Ottawa, il y a un an, ont été une exception… », confie à Entreprise & Carrières David Gray, professeur de sciences économiques à l’université d’Ottawa. En effet, la négociation est d’ordinaire de mise entre patronat et syndicats, note le professeur. Et les conflits sont souvent réglés en amont ou avec un médiateur. L’objectif ? Éviter à tout prix des grèves coûteuses, tant pour les entreprises que pour les centrales syndicales. Car le dialogue social passe essentiellement par ces dernières et l’État n’intervient que dans des cas exceptionnels.
Les Canadiens se souviennent de la grande grève des étudiants de 2012, le « printemps érable », et les plus anciens, celles, terribles, des mineurs, dans les années 1950 et 1960, mais les conflits sont rares aujourd’hui. « Du début des années 1980 jusqu’au milieu des années 2000, le nombre d’heures non travaillées en raison de grèves et de lock-out a généralement suivi une tendance à la baisse », précise Statistique Canada. Ainsi, en 1981, le nombre d’heures non travaillées en raison de conflits sociaux était de 160 pour 1 000 employés. En 2021, il n’était plus que de 10,5 pour le secteur public et de 9,7 pour le privé. Pour ce qui est de la province du Québec, le ministère du Travail relève que de 350 en 1981, le nombre de conflits a fondu à 36 en 2021. Et un seul s’éternise actuellement : celui des caissiers de la Société québécoise du cannabis, une entreprise publique, en grève depuis près de dix mois. Embauchés à un salaire de 17 dollars canadiens de l’heure, soit un quart de plus que le salaire minimum, les fonctionnaires de la marijuana plaident pour être payés au moins 20 dollars de l’heure. Le gouvernement de la province demeure totalement sourd aux doléances et les négociations sont au point mort.
De manière générale, si patronat et syndicats parviennent souvent à un accord avant d’aller jusqu’à la grève, c’est que, en particulier dans la Belle Province, les syndicats ont une puissance de feu inégalée. Le Québec affiche en effet des taux records de syndicalisation, principalement chez les femmes et les 25-54 ans, avec une moyenne, tous âges confondus, de près de 40 % de syndiqués en 2020, essentiellement dans les grands établissements publics et, dans une moindre mesure, dans le privé. Plus qu’à l’échelle nationale, donc, puisque le taux de syndicalisation est de 30 % (contre environ 10 % en France…). Le nombre de syndiqués aurait même augmenté pendant la pandémie, notamment chez les jeunes, même si les dernières statistiques sont encore mal connues.
Le système est bien rodé. Après une consultation des salariés pour décider d’une syndicalisation au sein d’une organisation, si 50 % (plus un) d’entre eux se déclarent en faveur de l’adhésion, alors tous les salariés doivent payer leur cotisation syndicale, prélevée à la source sur la feuille de paie. Le syndicat accrédité est reconnu comme l’interlocuteur unique pour négocier avec l’employeur. Et grâce aux cotisations, les dix syndicats québécois, dominés par deux centrales, la Confédération des syndicats nationaux et la Fédération des travailleurs du Québec, ont accumulé des milliards de dollars de trésor de guerre. Autant dire qu’ils pourraient, s’ils le voulaient, tenir une grève pendant longtemps – même s’ils préfèrent conserver les fonds… De quoi, en tout cas, profiter d’un pouvoir de négociation sans pareil.
En outre, les syndicats canadiens sont peu « politisés ». Ils négocient essentiellement des hausses de salaires pour leurs adhérents au sein d’une entreprise ou d’une branche – ainsi, dans la santé publique, ils ont réussi à faire passer le salaire des médecins généralistes de 205 000 dollars en 2008 à 324 000 dollars en 2021 – sans chercher à améliorer le sort d’autres travailleurs ailleurs, du fait du système de cotisation.
Reste que la toute-puissance des syndicats dérange parfois les habitants de la Belle Province et, surtout, elle crée des jalousies. Les non-syndiqués parlent des « syndiqués » avec à la fois une pointe de mépris, d’envie et d’agacement. Les conflits sociaux français, eux, font sourire les Canadiens, sauf lorsqu’ils se trouvent en vacances en France. David Gray conclut ainsi : « Je suis francophile, sauf lorsqu’il y a des grèves de la SNCF ».