Si Sciences Po refuse désormais que les étudiants aient recours à ChatGPT, rien n’interdit aux RH de le faire ! Récemment lancée par l’entreprise californienne OpenAI, l’intelligence artificielle (IA) conversationnelle, ou Generative Pre-Trained Transformer – d’où les initiales GPT accolées au verbe bavarder (to chat) en anglais –, s’appuie sur un modèle de traitement avancé du langage naturel. Cette IA peut donc générer des écrits tels que des humains le font. Ce qui signifie, entre autres, pour les responsables RH, qu’elle peut écrire des descriptions de postes précises, attrayantes et même meilleures que celles qu’auraient rédigées les équipes RH… Et si ces dernières ne sont pas satisfaites, elles peuvent toujours demander à la machine de reformuler ou de mettre l’accent sur une compétence particulière. « Le but n’est pas de s’appuyer à 100 % sur ce système, mais de s’y référer et d’améliorer la marque employeur. Dans tous les cas, l’humain fait l’interface », souligne d’ailleurs Alexandre Stourbe, directeur général du Lab RH. De même, pour les candidats qui ont du mal à écrire une lettre de motivation à destination des employeurs en demandant encore une, ChatGPT leur facilite la vie en s’en chargeant – « même si, poursuit ce spécialiste, ces lettres générées par l’IA sont aisément détectables ».

Et si ChatGPT n’est pas, pour le moment, un outil de sourcing, à l’avenir, prédit l’économiste Daniel Cohen, auteur d’un ouvrage paru récemment et intitulé Homo Numericus, la « civilisation » qui vient, cette IA sera capable de rassembler toutes les informations disponibles sur le Net à propos d’un profil ou d’un candidat potentiels, pour voir non seulement si leurs compétences sont adéquates, mais aussi leur parcours, leurs valeurs, leur personnalité, et ce, de façon plus claire et plus synthétique qu’en s’appuyant, comme actuellement, sur les réseaux sociaux. Attention, toutefois, à respecter, ce faisant, le règlement général sur la protection des données (RGPD)…

Dès aujourd’hui, les DRH les plus innovants s’intéressent aussi à ChatGPT comme outils de réponse, à la place de leurs services, à certaines questions et surtout celles qui reviendraient le plus souvent. Ce qui permettrait ainsi, comme dans le cas de la rédaction d’offres d’emploi, de gagner un temps précieux, tout en améliorant l’expérience collaborateur avec des résultats rapides et précis. Trop beau pour être vrai ? Sans doute. Dans certains cas, tout au moins… De premiers tests invitent en effet à la circonspection.

Julie Récalde, directrice de l’innovation RH au cabinet de conseil Mazars, a voulu, dès l’annonce dans la presse du lancement de ChatGPT, le tester dans plusieurs domaines. Elle a ainsi cherché à savoir si cette intelligence pouvait prendre en charge des réponses à des questions de base posées par des collaborateurs, telles que la façon d’entrer une demande de congés dans le système interne ou quelle était la durée d’un préavis. Les limites actuelles de la machine ont été flagrantes. Certes, et OpenAI l’avait précisé au moment du lancement, les informations à disposition de ChatGPT s’arrêtent en 2021, et la machine n’a pas non plus accès à des sites disponibles sur Internet comme Légifrance, pour vérifier le Code du travail en matière de préavis, mais surtout, elle ne peut pas intégrer et restituer les process spécifiques du cabinet Mazars (concernant le dépôt de congés, par exemple) s’ils ne lui ont pas été fournis… Pis, poursuit Julie Récalde, « la plus grosse faiblesse de la machine est qu’elle n’apporte pas une réponse unique à une demande identique faite à plusieurs reprises. » L’IA mouline en effet les mots qui ont tendance à se suivre dans les données dont elle dispose et en déduit les constructions les plus probables, avec des variations. Or « probable » ne veut pas dire « juste »…

En outre, « tous les ans, nous faisons, en comité, une revue de performance des collaborateurs, fondée sur les évaluations écrites des managers », ajoute Julie Récalde. Ces derniers doivent ensuite rédiger une synthèse pour la transmettre aux collaborateurs. « Or les collaborateurs sont rarement satisfaits, du fait, en particulier, d’une certaine confusion entre évaluation annuelle et système de feed-back régulier et ponctuel. Cela m’a paru une bonne matière pour un test », explique-t-elle. D’une part, les managers pourraient gagner un temps précieux, d’autant que tous n’ont pas forcément le goût pour l’écriture et peuvent, en plus, avoir des biais inconscients qui coloreraient l’exercice de synthèse. Et de l’autre, le résultat, plus objectif, serait peut-être de nature à mieux satisfaire les équipes. Si la directrice de l’innovation RH a été, malgré quelques tournures de phrases à revoir, impressionnée par la qualité du travail de base fourni par ChatGPT, la question de la satisfaction des collaborateurs était cependant loin d’être résolue pour elle après ce premier test. « En fait, dit-elle, mon sentiment a été que leur insatisfaction première allait être décuplée si une machine, indifférente, déconnectée du terrain, avait travaillé à la place de leur manager… »

« Je vois surtout des indications sous forme de recueil d’informations, reprend Alexandre Stourbe, du Lab RH. ChatGPT pourra faire une synthèse, disons, des best practices en matière de recrutement au Danemark, par exemple. Et du fait que la machine peut dialoguer, elle peut être poussée à creuser davantage, ce qui va plus loin qu’une simple requête d’information sur Google. » C’est donc, pour ce spécialiste, avant tout un outil de réflexion. « On peut envisager qu’un manager demande à la machine quelle pourrait être, selon certains paramètres, l’évolution de carrière possible pour un membre de son équipe, et les moyens d’y parvenir », ajoute-t-il. Les DRH vont-ils être conquis ? Il faudra sans doute attendre que les promesses soient tenues… « Tous les six mois, nous avons une nouvelle mode – l’intelligence artificielle, le prédictif, le métavers et maintenant ChatGPT, soupire Gérard Piétrement, créateur et secrétaire du cercle des SIRH (système d’information ressources humaines). En fait, je note plutôt, de la part des RH, une certaine envie de retour aux fondamentaux. »