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Yvan William : La chronique juridique

Chroniques | publié le : 13.01.2023 | Yvan William

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Yvan William : La chronique juridique

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Discrimination : quand tout s’emmêle…

Sous l’impulsion du droit européen, la définition de la notion de discrimination et de ses implications s’est considérablement enrichie ces 20 dernières années. L’article L. 1132-1 du Code du travail dresse une liste déjà impressionnante des discriminations prohibées. Celle-ci s’est sans cesse élargie : origine, sexe, mœurs, orientation sexuelle, identité de genre, âge, situation de famille ou grossesse, caractéristiques génétiques, particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique apparente ou connue, appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, qualité de lanceur d’alerte… Le législateur a également fixé le cadre des différences de traitement légalement autorisées. L’article L. 1133-1 du Code du travail prévoit à ce titre que le principe de non-discrimination « … ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ».

En pratique, la frontière entre discrimination interdite et différence de traitement autorisée s’avère parfois délicate à définir et les risques pour l’entreprise sont élevés. Les mesures prises par l’employeur caractérisant une différence de traitement qui ne répondent pas aux conditions précitées sont discriminatoires et donc nulles. La Cour de cassation a récemment rendu une décision qui permet d’illustrer l’application pratique de ces principes (chambre sociale de la Cour de cassation, 23/11/2022 n° 21-14.060). Le salarié invoquait dans cette affaire une discrimination en raison de son sexe et de son apparence physique, soulevant la délicate et si actuelle question de la perception sociale du genre. Bien qu’il ne s’agissait pas d’un moyen de droit soulevé par le requérant, l’origine ethnique du salarié était également en jeu. Venons-en aux faits. Le steward d’une compagnie aérienne se voit interdire l’accès à bord en raison de la non-conformité de sa coiffure aux prescriptions du manuel de port de l’uniforme des personnels navigants. Autre temps, autres mœurs ? Le manuel en question prescrivait notamment : « Les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur du col de la chemise. Décoloration et/ou coloration apparente non autorisée. » Choc des cultures ? Le steward arborait « des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon ». À la suite de ce refus, le salarié avait dissimulé sa coiffure sous une perruque à cheveux lisses et avait été accepté à bord pour effectuer son service pendant deux ans. Il réitère quelques années plus tard et se présente à nouveau pour réaliser son service avec la coiffure litigieuse. L’employeur lui notifie une mise à pied disciplinaire de cinq jours. Cette situation semble avoir été vécue de manière tellement humiliante par le salarié qu’il est placé en arrêt de travail. Il obtient la reconnaissance en maladie professionnelle du syndrome anxio-dépressif consécutif à cette situation. D’arrêt en arrêt, son contrat de travail finit par être rompu pour inaptitude d’origine professionnelle. Après deux décisions des juges du fond rejetant les demandes formées par ce salarié pour discrimination, la Cour de cassation est saisie d’un pourvoi. La décision de la cour d’appel est infirmée et l’existence d’une discrimination directement fondée sur « l’apparence physique en lien avec le sexe » est confirmée par la Cour de cassation. La Cour indique en particulier que la perception sociale de l’apparence physique des genres masculins et féminins ne peut constituer une différence de traitement autorisée. Elle ne peut caractériser une exigence professionnelle véritable et déterminante, seule condition qui justifierait une différence de traitement entre les hommes et les femmes en matière de coiffure. La compagnie aérienne s’est donc livrée à une discrimination. Bien qu’il ait été prononcé pour un motif d’inaptitude, le licenciement doit être annulé. Conséquence désormais classique en matière de discrimination et de harcèlement… Ni l’image de l’entreprise ni les dispositions internes réglementant la tenue et l’apparence physique du personnel navigant ne permettaient de telles restrictions.

Certains employeurs frémiront sans doute à l’idée d’une extension de cette jurisprudence à d’autres habitudes esthétiques ou vestimentaires. Rappelons-leur que la cour d’appel de Grenoble a déjà annulé pour discrimination le licenciement d’un salarié pour s’être présenté chez un client en portant des habits de femmes (CA Grenoble 06/06/2011 n° 10-3547)…

Auteur

  • Yvan William