logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

Évolution professionnelle : Le bilan de compétences se fait incontournable

Le point sur | publié le : 06.02.2023 | Dominique Perez

Image

Évolution professionnelle : Le bilan de compétences se fait incontournable

Crédit photo

Plébiscité par les salariés, le bilan de compétences, utilisé pour faire le point, évoluer professionnellement et/ou se reconvertir, est plus que jamais nécessaire. Reste son financement…

Entré dans le Code du travail en 1991, le bilan de compétences n’a jamais été autant d’actualité. En ces temps post-crise sanitaire, où le besoin de changements professionnels, la quête de sens dans l’emploi et l’allongement de la durée du travail émergent comme autant de tendances lourdes, ce dispositif fait l’objet d’un regain d’intérêt. Qui se traduit dans les derniers chiffres transmis par la Caisse des dépôts et consignations, laquelle gère la plateforme Moncompteformation.fr. Alors qu’en 2020, 50 000 personnes ont mobilisé leur compte personnel de formation (CPF) pour financer un bilan, 96 000 ont fait de même en 2022. Pourtant, ce dispositif a connu un destin chahuté : suppression du congé bilan, qui permettait aux salariés de s’absenter de l’entreprise pour effectuer cette démarche, impossibilité de mobiliser le CPF pour le financer, puis réintroduction de cette possibilité, concurrence ou confusion avec le conseil en évolution professionnelle (CEP) – outil de pré-orientation de 8 heures maximum, tandis que le bilan de compétences a une durée totale de 24 heures… À l’image d’un marché de la formation qui s’est fortement libéralisé depuis la dernière loi sur la formation professionnelle de 2018, en laissant la liberté de choix aux utilisateurs de mobiliser eux-mêmes leurs crédits d’heures de CPF, le marché du bilan de compétences a fait l’objet d’une déréglementation qui a terni ou tout au moins troublé son image. Bilan « coaching », bilan pour « préparer sa retraite », bilan pour accéder à des offres d’emploi : l’essence même et la raison d’être du bilan de compétences se sont quelquefois perdues dans une myriade de propositions fantaisistes. Mais en 2022, la certification Qualiopi, attestant de la qualité du processus mis en œuvre par les prestataires d’actions concourant au développement des compétences, a été mise en place.

Le fait que de nouveaux professionnels soient entrés sur le marché « n’est pas une mauvaise chose, relève Rémy Dréano, qui a notamment été directeur d’un centre de bilan de compétences et est aujourd’hui responsable éditorial du Guide des ressources emploi (édition Teamaël). Cela a permis à des consultants parfois plus proches du monde des entreprises d’intervenir. Le problème est que sans contrôle suffisant, les offres se sont multipliées. Or le modèle économique du bilan est un peu bancal. Pour en vivre, il faut avoir une forte puissance de feu en termes de communication, de publicité, de référencement sur Internet, et les centres qui y parviennent sont d’abord ceux qui ont mis ces moyens en place. Il y a pu, de plus, avoir une dénaturation du bilan, certains consultants pensant par exemple que le fait d’en avoir fait un eux-mêmes leur donnait les clés suffisantes pour proposer cet accompagnement. » Alertée par des utilisateurs et par les centres de bilan publics et privés reconnus sur la place, la Caisse des dépôts s’attache aujourd’hui à mettre de l’ordre dans un marché qui s’est emballé.

Le casse-tête du reste à charge

Rassurés par cette reprise en main, les professionnels ont désormais une autre inquiétude : à l’heure où la demande n’a jamais été aussi forte, le « reste à charge », qui prévoit une participation financière des salariés mobilisant leur CPF, inscrit dans la dernière loi de finances, pourrait représenter un nouveau frein. Le bilan a toutefois échappé à son exclusion du CPF, comme le préconisait la Cour des comptes, qui recommandait, dans un rapport paru en juillet 2022, « l’arrêt du financement des formations les moins qualifiantes (permis de conduire, formations à la création d’entreprise, bilans de compétences, tests de niveau linguistique et informatique…) et qui représentent les cas les plus nombreux de fraude », il reste menacé.

« Paradoxalement, c’est au moment où les personnes se saisissent de ce droit qu’il est envisagé un reste à charge qui serait un véritable frein à cette étape souvent nécessaire pour faire des choix éclairés, remarque Sophie Clamens, déléguée générale de la Fédération des centres interinstitutionnels de bilans de compétences. Le bilan a su s’adapter à l’environnement et son utilité est confortée avec le climat actuel anxiogène connu par les demandeurs d’emploi et les salariés qui ont des questionnements forts concernant leur évolution et parfois leur reconversion professionnelle. Grâce aux CPF, les personnes peuvent accéder au bilan de compétences, en particulier celles qui n’avaient pas le réflexe d’y recourir, je pense en particulier aux personnes peu qualifiées et aux seniors. »

Risque premier : « Seuls ceux qui auront les moyens de s’offrir un bilan pourront le faire, constate Sandrine Beaulieu, dirigeante du centre de bilan de compétences à distance Acerola Online. Mon souhait est d’aider les gens qui en ont vraiment besoin, ce qui va être difficile. » Le coût d’un bilan varie en effet de 1 500 à 3 000 euros… La consultante a d’ailleurs lancé une pétition contre le reste à charge pour alerter l’opinion publique.

Rôle des entreprises

Dans ce contexte d’incertitude sur le financement des bilans de compétence, mais face aux besoins grandissants exprimés par les salariés, les entreprises ne peuvent-elles pas s’emparer du sujet ? Même si les données précises sur ce thème sont rares, il semble que les employeurs se sentent peu concernés… « Quand le bilan de compétences pouvait être pris en charge par les opérateurs de compétences (Opco), au temps du droit individuel à la formation (DIF), les entreprises étaient beaucoup plus impliquées, constate Florence Vial, directrice du Centre inter-institutionnel de bilan de compétences du Rhône. Avec le CPF, nous constatons qu’elles le sont beaucoup moins, même si certaines en cofinancent dans le cadre de leur plan de développement des compétences ou en complément du CPF. » Si les employeurs peuvent avoir un rôle d’information des salariés sur les modalités et les centres de bilan, voire cofinancer le bilan, beaucoup considèrent qu’il s’agit avant tout d’une démarche individuelle. « Elles craignent qu’un salarié désirant s’engager dans cette démarche souhaite ensuite quitter l’entreprise, poursuit Florence Vial. C’est généralement faux. Dans la très grande majorité des cas, le salarié veut certes changer et évoluer, se projeter dans un autre emploi, mais de préférence au sein de son entreprise. En fin de bilan, nous constatons que les salariés qui en ont bénéficié restent généralement chez leur employeur, reprennent de la motivation et s’impliquent davantage. »

Le bilan de compétence deviendrait-il un outil de fidélisation, voire d’amélioration de la marque employeur ? Quoi qu’il en soit, « 15 % de nos bilans de compétences sont financés par les entreprises, mais ce dispositif pourrait être plus souvent mobilisé pour la mobilité interne, avance Philippe Abou, dirigeant associé du cabinet AP ressources humaines et de la start-up My talents. D’autant que la demande, qui concernait auparavant plus les personnes autour de la cinquantaine, émane également aujourd’hui d’une population de plus en plus jeune, à partir de 25 ans. » Une donnée également à prendre en compte à l’heure où le monde du travail vit de profonds changements. « La majorité des demandes concernent les projets de reconversion, explique Sandrine Beaulieu. Les personnes ont besoin qu’on les aide pour trouver des idées de métier, d’autres viennent dans des situations difficiles, de burn-out, de déclaration d’inaptitude au travail… et ont besoin d’un accompagnement approfondi. Certaines nous sont adressées à la suite d’un CEP, mais aussi par l’intermédiaire d’assistantes sociales, beaucoup plus rarement des entreprises. »

La réforme des retraites et la nécessité prochaine, si elle est adoptée en l’état, faite aux seniors de travailler plus longtemps, incitera-t-elle les entreprises à se pencher de manière plus attentive sur leurs évolutions de carrière et leur reconversion ? Le Medef, notamment, préconise de « rendre obligatoire le bilan de compétences », mais la question du financement reste posée…

Auteur

  • Dominique Perez