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Construire la légitimité d’un changement : un préalable clé pour réussir !

Chroniques | publié le : 06.02.2023 |

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Construire la légitimité d’un changement : un préalable clé pour réussir !

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Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris

La situation du gouvernement, en ce début de l’année 2023 et dans le contexte de la réforme des retraites voulue par le chef de l’État, montre combien il est difficile de mettre en œuvre un changement, bien que perçu comme nécessaire par de nombreux acteurs, mais qui n’a pas encore réussi à passer le cap de la reconnaissance de sa légitimité. Il est en effet assez étonnant d’observer le décalage qui semble exister entre le discours gouvernemental sur l’urgence de réaliser cette réforme et la position du président du COR (Conseil d’orientation des retraites), qui déclare mi-janvier 20231 : « Les dépenses ne dérapent pas (…). Les dépenses de retraites sont globalement stabilisées et, même à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre ». Cette prise de position et les conclusions du rapport du même COR en septembre 20222 donnent des arguments à tous les acteurs (syndicats de salariés, partis politiques, autres acteurs) qui veulent remettre en cause la légitimité d’un tel changement.

Ce qui est vrai au niveau d’un pays l’est aussi au niveau d’une entreprise pour laquelle la légitimité doit d’abord être construite avant la mise en œuvre de tout changement en ayant recours notamment aux sciences sociales3. Les chercheurs soulignent en effet que la légitimité est une ressource cruciale pour les organisations engagées dans un processus de changement organisationnel. Dans cette perspective, la légitimité est définie comme un processus social de convergence des perceptions individuelles et collectives à propos d’une entité et de ses actes, conduisant à un alignement des représentations partagées à propos de cette entité avec un système de normes et de valeurs sociales4.

Sur un plan concret, plusieurs pistes peuvent être suggérées ici pour faciliter cette convergence des perceptions individuelles et collectives en s’inspirant de l’expérience du dirigeant indien Vineet Nayar dans la démarche de changement profond de culture et d’organisation qu’il a menée chez HCLTech il y a plus de dix ans5. Les résultats pérennes de ce changement conduisent cette entreprise de plus de 220 000 collaborateurs dans 55 pays à être aujourd’hui l’une des plus performantes dans le secteur des services informatiques en Inde et à l’étranger, avec un turnover sensiblement plus faible que ses concurrents !

La construction de la légitimité du changement s’appuie tout d’abord sur l’association des collaborateurs à la reconnaissance des défis qui se posent à l’entreprise et à la nécessité de changer pour y faire face. C’est dans le cadre d’un dialogue d’adulte à adulte que Vineet Nayar a suscité le besoin de changer chez les collaborateurs de HCLTech avec la fameuse expérience « miroir-miroir » qu’il a conduite à tous les niveaux de l’entreprise pour permettre aux collaborateurs de mettre en évidence les problèmes importants qui n’avaient jamais été reconnus publiquement. La légitimité du changement se renforce ensuite quand l’entreprise et ses dirigeants mobilisent les collaborateurs en faisant appel à leur intelligence collective pour trouver les réponses et les solutions possibles aux défis identifiés afin que la démarche de changement soit un succès. En guise d’illustration, Vineet Nayar a montré la voie en inversant réellement la pyramide, par la priorité donnée aux collaborateurs de terrain dans la « zone de valeur », ceux qui servent directement les clients et prennent des initiatives en autonomie pour développer le business, sous le nom d’« ideapreneurs ». Enfin, le changement est encore plus légitime lorsque l’équipe dirigeante s’engage par des actes concrets comme l’a fait Vineet Nayar lorsqu’il a lancé la plateforme digitale U&I où n’importe quel collaborateur de HCLTech pouvait l’interpeller publiquement, lui le PDG, sur n’importe quelle question qui touchait au fonctionnement de l’entreprise. Quel plus bel exemple d’engagement concret quand l’un des objectifs du changement était précisément de développer une culture de transparence et de confiance ? Renforcer la légitimité du changement s’avère donc être un préalable indispensable pour bâtir une solide démarche qui peut permettre à l’entreprise de mener les transformations nécessaires dans son organisation et son fonctionnement, à l’image de Michelin avec le programme de responsabilisation commencé il y a plus de quinze ans dans plusieurs usines du groupe et qui est inscrit aujourd’hui dans l’ADN de cette entreprise6. En définitive, la construction de la légitimité du changement doit pouvoir s’appuyer sur les trois dimensions de la légitimité : pragmatique, morale et cognitive7. À ce titre, les DRH ont un rôle clé de pilote du changement pour aider à construire cette légitimité par des actions, entre autres, de sensibilisation, de formation et de communication ascendante et descendante.

(3) Dupuy, F. : On ne change pas les entreprises par décret, Le Seuil, 2020.

(4) Barbaroux, P. & Gautier, A. « En quête de légitimité : la gestion du changement organisationnel comme processus de légitimation ». Management international/International Management/Gestiòn Internacional, 2017, 21 (4), 48–60.

(5) Nayar, V. : Employés d’abord, clients ensuite, Diateino, 2e ed, 2018.

(6) Hamel, G & Zanini, M. : Humanocratie, Diateino, ch.14, 2021.

(7) Barbaroux, P. & Gautier, A., op.cit, p. 50.