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Recrutement : La cooptation pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre

Tendances | publié le : 30.01.2023 | Nathalie Tissot

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Recrutement : La cooptation pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre

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De plus en plus d’entreprises offrent à leurs salariés des primes de parrainage pour les encourager à convaincre leurs connaissances de postuler à des postes vacants.

« Nous ne nous attendions pas à un tel résultat ! », se félicite Marie Boué. Grâce à une campagne de cooptation inédite, lancée en octobre 2022, la responsable RH au département métro de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) a reçu pas moins de 200 CV rien que pour les postes de conducteur métro, dont l’âge minimum a récemment été abaissé de 21 à 18 ans. La recherche de candidats était particulièrement difficile depuis plusieurs mois.

Le prochain retour à la normale du trafic du métro et les événements sportifs à venir – Coupe du monde de rugby en 2023 et Jeux olympiques en 2024 – accentuent le besoin de personnel. « Jusqu’à présent, en recrutement extérieur, nous n’avions pas particulièrement de difficultés. En conséquence, nous ne faisions pas de publicité en interne sur notre volonté de recruter », relève Marie Boué. Avec cette campagne de cooptation, « un visuel de communication et un affichage assez massif » ont été diffusés dans les espaces réservés aux salariés. Une boîte mail spécifique a été créée pour ceux qui souhaitent envoyer la candidature d’une connaissance. Et surtout, une prime leur est offerte lorsqu’ils permettent une embauche : 100 euros net au moment de la signature du contrat et la même somme au bout d’un an. Comme tous les autres, ces candidats recommandés doivent postuler sur le site ratp.fr, passer des tests, des entretiens puis une visite médicale. Un processus toujours en cours pour les 200 cooptés de la campagne 2022. Les premières recrues devraient bientôt partir en stage pour être opérationnelles avant l’été. « C’est un dispositif que nous allons faire perdurer et peut-être déployer sur d’autres domaines d’activité de l’entreprise », poursuit Marie Boué, qui l’étend au recrutement des encadrants de son département dès février 2023.

Optimisation de la méthode

Selon une étude de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), 44 % des PME et 52 % des ETI et grandes entreprises ont utilisé la cooptation pour engager au moins un cadre en 2021. Une autre enquête, publiée en octobre 2022 par l’ANDRH, confirme l’ampleur de cette pratique. Quelque 88 % des répondants indiquaient avoir des difficultés à recruter et 51 % évoquaient comme solution le recours à la cooptation, après l’appel à un cabinet de recrutement (75 %) et le travail sur la marque employeur (72 %). « Ce n’est pas un dispositif nouveau, mais nous observons qu’il est remis au goût du jour face aux difficultés de recrutement que nous connaissons dans tous les secteurs », confirme Audrey Richard, présidente de l’ANDRH. Elle précise néanmoins qu’il « faut que ce soit animé par l’équipe RH, accompagné par de la communication interne et soutenu par les managers ». D’après une enquête de la Dares, publiée en septembre 2022, sept professions sur dix étaient en tension forte ou très forte en 2021. Le plus haut niveau depuis dix ans.

Des sociétés comme Basile, rachetée par le groupe HelloWork en 2022, ou Keycoopt System se sont spécialisées dans l’élaboration de plateformes dédiées. « Avant, la majorité des moyennes et grandes entreprises faisaient de la cooptation mais de manière artisanale : ce n’était pas animé, digitalisé, affiché, récompensé », analyse Antoine Perruchot, co-fondateur et PDG de Keycoopt System, lancé en 2016. Il fournit à des employeurs comme Feu Vert, Norauto ou Caisse d’Épargne Côte d’Azur un outil qui, grâce à un algorithme, diffuse les offres d’emploi aux salariés les plus susceptibles de recommander quelqu’un correspondant aux profils recherchés. « Pour une entreprise comme Decathlon, qui compte 100 000 collaborateurs, notre solution permet, pour un poste de contrôleur de gestion à Paris, de cibler les 87 personnes qui sont en contrôle de gestion en France ou dans des métiers proches », cite en exemple le PDG de Keycoopt System, qui affirme que la cooptation représente entre 25 % et 40 % des embauches chez sa centaine de clients. La majorité d’entre eux offrent des primes allant de 150 à 8 000 euros à leurs salariés pourvoyeurs de main-d’oeuvre. La récompense peut aussi prendre la forme d’un don d’argent à de bonnes oeuvres, de journées de congé exceptionnelles offertes par l’employeur ou d’un déjeuner avec le DRH ou le directeur général. Pour Antoine Perruchot, cette technique fidélise aussi davantage les candidats, car elle leur offre « la vision des forces et des faiblesses de l’entreprise par un tiers de confiance », dit-il.

Risque de reproduction sociale

« Cela nous permet d’avoir des profils qui ont été présélectionnés par le collaborateur et qui réussissent plus facilement le processus de recrutement », abonde Mélanie Gobin-Roux, directrice recrutement France chez Accenture, qui pratique la cooptation depuis 2000. Elle contribue à 22 % des embauches. Mais Mariam Khattab, la directrice générale du cabinet Mozaïk RH, spécialisé dans la promotion de la diversité, y voit aussi un « risque majeur de reproduction sociale ». Ce danger a également été soulevé par l’Apec dans une analyse sur les discriminations à l’embauche des cadres, parue en mars 2022. « Le biais de conformité est renforcé chez les cadres, plus particulièrement pour les métiers en tension, ainsi que pour les profils rares et les plus demandés, par l’importance de la cooptation dans le recrutement. Elle favorise une certaine endogamie dans le vivier de candidats et de candidates disponibles et renforce indirectement le poids du diplôme et des grandes écoles dans le recrutement », peut-on lire.

Pour Mariam Khattab, cette technique « qui a aussi du succès parce qu’elle a la réputation d’être plus facile à mettre en place et plus rapide, sachant que tous les recruteurs sont confrontés au manque de temps et à la pression interne pour trouver rapidement des profils adaptés », doit rester une méthode de recrutement parmi d’autres. Et les tensions actuelles sur le marché de l’emploi devraient être une opportunité de revoir les critères de sélection : oublier le CV, innover dans les méthodes d’entretien… « Pourquoi ne pas introduire la cooptation inversée, c’est-à-dire pousser les collaborateurs à aller chercher des profils qui sont différents des leurs ? », suggère la directrice générale de Mozaïk RH, en expliquant que « cela permet de faire prendre conscience au collaborateur que ce qui est important avant tout, c’est la compétence ».

Auteur

  • Nathalie Tissot