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Des jeux, pas si « fun », au travail

Les clés | À lire | publié le : 30.01.2023 | Irène Lopez

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Des jeux, pas si « fun », au travail

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Des travailleurs qui jouent au ping-pong ou glissent sur des toboggans pendant leur temps de travail… Travaillent-ils ou s’amusent-ils ? Dans son dernier essai, le sociologue Stéphane Le Lay explique comment des entreprises prévoient intentionnellement le recours à des ressorts ludiques et quelles en sont les conséquences.

Stéphane Le Lay est sociologue du travail, associé à l’équipe psychodynamique du travail et de l’action (Cnam). Il s’intéresse à l’émergence et au développement de ce qu’il appelle le « management distractif », cet art de gouverner par le divertissement et la diversion. Sur différents sites d’enquête, il est allé à la rencontre de salariés qui ont participé à des jeux managériaux. Par exemple, dans un centre d’appels où travaillent des commerciaux, des salariées ont décrit plusieurs types de « dispositif ludiste ». Le premier est un « challenge gaufres ». Il permet à tout conseiller qui place un produit de manger une gaufre durant son temps de travail… « Cette ludification organisationnelle » conduit à un effacement des frontières entre production (activités de vente et participation au challenge) et consommation (récompense du challenge). Pour l’auteur, « le flou entre ces deux actions contribue au processus de déréalisation du travail, tandis que le fait de se récompenser d’une petite pâtisserie sucrée au vu de tous les collègues signale à la fois sa participation au dispositif et son niveau de performance. » Le deuxième exemple est celui du « challenge Coupe du monde » organisé durant un Mondial de handball. Des équipes de salariés représentent chacune une équipe sportive nationale. Leurs ventes représentent l’équivalent des buts dans un vrai match. Des cages de handball ornent les espaces de travail. Le salarié qui fait une vente a le droit de tirer un ballon face à un collègue qui s’improvise alors gardien de but. Nouvel effacement des frontières, cette fois entre joueur et spectateur selon les performances commerciales. Et nouveau « flou déréalisant ».

Un dispositif infantilisant

Un troisième exemple pousse le processus un cran plus loin. Il s’agit du « challenge du plus beau bébé ». Chaque membre de l’équipe apporte une photo de lui bébé. Le plus beau reçoit un prix. Ici, c’est la frontière entre configuration professionnelle et vie privée qui est effacée. Des salariées se sont émues d’un dispositif perçu comme très infantilisant, ce qui ne les a pas empêchées d’y participer. Cela montre jusqu’où les téléconseillers sont prêts à exposer leur intimité pour rafler la mise. Le sociologue interroge les ressorts et les effets de ces dispositifs en apparence ludiques. Il prend le contre-pied des analyses complaisantes du « fun at work » et met en lumière la façon dont ces jeux managériaux instaurent en réalité une rivalité permanente au détriment de la coopération.

Auteur

  • Irène Lopez