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Réformer les préjugés avant de réformer les retraites ?

Chroniques | publié le : 30.01.2023 |

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Réformer les préjugés avant de réformer les retraites ?

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Gilles Gateau directeur général de l’APEC

La vidéo date de 2016, mais circule ces jours-ci sur les réseaux sociaux. Elle met en scène un entretien d’embauche. Le candidat n’est pas n’importe qui : il a même un sacré CV ! Pourtant… Le recruteur ne mâche pas ses mots : « 55 ans, compliqué pour une reconversion professionnelle ». Compliqué, même quand on a été président des États-Unis, même quand on s’appelle Barak Obama. Cette vidéo pleine d’humour (visionnez-la vite si vous ne l’avez pas vue !) pointe par l’absurde une réalité qui, hélas, ne prête pas à rire : les idées reçues qui s’invitent dans les recrutements pour exclure. Jusqu’à l’aberration !

Le projet de loi de recul de l’âge légal de la retraite à 64 ans repose sur l’idée – le pari ? – que ces comportements de mise à l’écart, sensibles bien avant l’âge légal actuel, vont changer. Et que l’allongement de la vie professionnelle imposé à beaucoup de salariés sera une période de travail et non une période de chômage subie, de relégation dans des placards ou de préretraites déguisées… Et je ne parle pas ici de celles et ceux dont l’usure physique dans des métiers pénibles rend cet allongement intenable, et à qui le futur dispositif de prise en compte de la pénibilité devra apporter impérativement une alternative.

Pari risqué, c’est le moins que l’on puisse dire, tant ces comportements sont ancrés et sournois. Pari redoutable car sans ce changement, la réforme n’allongera pas seulement la souffrance de seniors relégués, elle ne produira pas non plus les économies attendues. Pari essentiel pourtant pour faire vivre en harmonie les générations et mettre fin à un terrible gâchis humain, social et économique !

Déconstruire les idées reçues sur l’âge – comme sur le genre, le niveau d’étude ou le handicap – est donc la vraie « mère des batailles ». Celle des retraites, mais aussi celle des recrutements, car faire davantage appel aux seniors est un très bon moyen pour réduire les tensions persistantes et embaucher. Tensions qui en 2023 seront aussi aiguës qu’en 2022, particulièrement pour les TPE-PME – rien de nouveau sous la grisaille hivernale.

Alors comment ? Le gouvernement propose un index, dans le but de « poser la situation sur la table » aux yeux de tous dans chaque entreprise, et de mesurer au fil des ans les progrès. Ce peut être un outil utile de prise de conscience, mais cela ne restera qu’un outil. Évidemment il faudra plus.

Plus de quoi ?… D’abord plus d’ouverture d’esprit, d’audace et d’imagination des recruteurs car il est bon, quand on cherche à embaucher, « d’ouvrir les chacras », de sortir des cadres formatés « cinq à dix ans d’expérience dans le même job ». Des viviers de talents apparaissent alors soudainement. Beaucoup d’organisations commencent à le faire : 44 % des entreprises ont recruté en 2021 un ou une cadre au profil moins expérimenté qu’attendu au départ… mais 28 % seulement un profil plus expérimenté ! Bon début mais peut mieux faire.

Ensuite, plus de lucidité : recruter un plus jeune au motif qu’un candidat de 60 ans ne restera dans le poste « que » quatre ou cinq ans, c’est ignorer que le plus jeune ne restera peut-être pas davantage, et probablement moins. Que vouloir rajeunir sa pyramide des âges, c’est ignorer que celle de tout le pays vieillit : équation impossible si chacun tient ce raisonnement… Lucidité aussi du côté des cadres seniors : adapter les exigences salariales quand il le faut, ne pas rechercher la copie conforme du job perdu, c’est aussi lever certains freins pour mieux rebondir.

Tout ceci nous renvoie à une interrogation plus fondamentale : quelle « société du travail » voulons-nous ? Une société inclusive – et cela passe aussi par le recrutement – doit veiller à ce que ces femmes et ces hommes formés et expérimentés ne soient pas sèchement mis à l’écart.

Déconstruire… c’est donc construire. Et c’est là le défi prioritaire !