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Santé : Le congé menstruel, une mesure qui fait son chemin

Tendances | publié le : 23.01.2023 | Nathalie Tissot

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Santé : Le congé menstruel, une mesure qui fait son chemin

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Depuis le printemps dernier, de plus en plus d’entreprises proposent un congé aux femmes souffrant durant leurs règles, s’inspirant de dispositifs déjà existants à l’étranger.

« Quand j’étais salariée, je redoutais cette période du mois. Est-ce que j’allais souffrir ? Évidemment. Est-ce que j’allais vomir ? Probablement. Est-ce que j’allais réussir à performer ? Survival mode1. Et oui, cela m’est arrivé de poser un arrêt maladie ou un congé quand je ne pouvais tout simplement plus tolérer la douleur. » Des témoignages comme celui-ci, postés sur LinkedIn début décembre, se sont multipliés sur les réseaux sociaux ces derniers mois. Les douleurs menstruelles, appelées dysménorrhées, toucheraient plus d’une salariée sur deux, selon un sondage de l’Ifop pour Eve and Co, mené en septembre 2022 auprès de près d’un millier de femmes. Quelque 35 % d’entre elles affirment même que ces douleurs ont un impact négatif sur leur travail.

« Est-ce que nous sommes autorisés à exiger de quelqu’un qu’il travaille lorsqu’il est en souffrance ? », questionne alors Xavier Molinié, DRH de Critizr. La société lilloise spécialisée dans la relation client a institué, en même temps qu’un congé payé pour fausse couche de cinq jours, jusqu’à trois jours de congés payés par mois pour règles douloureuses. Pour en bénéficier, les quarante femmes de cette entreprise d’une centaine de salariés n’ont pas besoin d’un certificat médical.

Améliorer l’engagement

« C’est toujours mieux d’avoir une femme absente pendant deux ou trois jours qui va revenir dans des conditions d’optimisme et de dynamisme plutôt que de la forcer à venir travailler dans une situation de souffrance », justifie le responsable. Dans un document d’étude, Jessica Martinez, à l’initiative d’une mesure similaire au sein de la coopérative montpelliéraine La Collective, la première à avoir mis en place un congé menstruel en France, il y a deux ans, évoquait le retour d’expérience d’une entreprise égyptienne, Shark and Shrimp, attestant d’« une augmentation de la productivité » depuis l’instauration d’un jour de congé spécifique, en avril 2019, ainsi que d’une « plus grande implication au travail de la part de tous les employés ».

En 2017, une enquête menée auprès de plus de 32 000 femmes âgées de 15 à 45 ans par des chercheurs de l’université de Radboud, aux Pays-Bas, concluait que le présentéisme des femmes durant la période des règles entraînait une perte d’activité de neuf jours en moyenne par an. Quant à la durée moyenne de leur absence liée aux règles, elle s’élevait à 1,3 jour sur l’année. « Lorsque les femmes se sont déclarées malades en raison de leurs règles, seulement 20,1 % ont dit à leur employeur ou à leur école que leur absence était due à des troubles menstruels », précisent les auteurs. Derrière les règles douloureuses se cache parfois l’endométriose, une maladie gynécologique chronique qui touche près de 10 % des femmes en France. Mais pas uniquement. Les effets indésirables du cycle menstruel peuvent être très variables et plus ou moins handicapants : fatigue, déprime, crampes, troubles digestifs…

Confiance mutuelle

Chez Critizr, trois femmes ont posé trois jours de congé menstruel depuis mai 2022. « Quand on construit quelque chose sur la confiance, les gens ne cherchent pas à abuser du système », se félicite Xavier Molinié. Même constat chez le producteur et affineur de coquillages Marédoc, à Frontignan (Hérault), qui propose huit heures de forfait rémunéré par mois en cas de souffrances. Là encore, trois employées ont sollicité ce dispositif depuis avril 2022, une journée à chaque fois. « Ces femmes, qui mettent en bourriche nos coquillages, sont debout toute la journée, dans l’humidité. Il y a tout un environnement qui n’est pas agréable, elles portent par exemple un tablier qu’il faut enlever pour aller aux toilettes… », commente Flora-May Lalonde, la responsable de la communication et du marketing. Cette petite entreprise de conchyliculture de 20 salariés a même installé un distributeur de protections hygiéniques dans les toilettes du personnel. Malgré des absences ponctuelles non remplacées, « il n’y a aucun jugement, aucune jalousie et beaucoup de compréhension de la part des effectifs masculins », assure Flora-May Lalonde.

Pour Thomas Devineaux, cofondateur de Louis Design, un fabricant de mobilier écoresponsable à Labège, près de Toulouse, le travail de pédagogie, pour « répondre à toutes les inquiétudes ou questionnements », est essentiel. « Nous avons pris le temps d’aller chercher des données terrain, de sortir du ressenti, pour être dans une approche plus scientifique avec des faits et de la mesure – et c’est pour moi la clé de la réussite de ce projet », détaille-t-il. Aujourd’hui, les collaboratrices du fabricant ont la possibilité de prendre un jour de congé payé supplémentaire ou de télétravail par mois en cas de menstruations douloureuses. Cette modalité, inscrite dans une charte d’engagement signée par chaque nouvelle recrue, évite les absences de dernière minute et permet de « modeler la production et donc de ne pas créer de retard », se satisfait le PDG qui souhaite ainsi servir d’exemple aux grands groupes.

À l’étranger…

Le 15 décembre dernier, les députés espagnols ont adopté en première lecture un projet de loi instaurant un congé menstruel pris en charge par la Sécurité sociale pour les femmes souffrant de règles douloureuses. S’il est adopté par le Sénat, l’Espagne sera le premier pays européen à légiférer en la matière et rejoindrait ainsi l’Indonésie, la Corée du Sud, Taïwan, la Zambie… Les retombées de ces réglementations à l’étranger sont néanmoins à pondérer. Au Japon, où le congé menstruel est inscrit dans la loi depuis 1947, moins de 10 % des employées y ont recours et le paiement de cette journée n’est pas garanti, il dépend du bon vouloir de l’employeur, comme l’indiquait le magazine Tokyo Weekender en mai 2022.

Ouvrir le débat en entreprise

Quelque 30 % de salariées ont déjà manqué le travail en raison de leurs règles. C’est l’un des résultats du baromètre annuel de l’association Règles élémentaires, réalisé auprès d’un millier de femmes par OpinionWay en avril 2022. Et 15 % affirment également avoir été confrontées à la précarité menstruelle, personnellement ou via un proche, un chiffre qui s’élève à près de 30 % pour les moins de 35 ans. L’un des objectifs de l’association, créée en 2015, est justement de lutter contre cette précarité et le tabou des règles. Pour ouvrir le débat dans les entreprises, elle propose, entre autres, d’organiser des collectes de protections périodiques redistribuées ensuite aux plus défavorisées.

(1) mode survie.

Auteur

  • Nathalie Tissot