Aline Boeuf, sociologue à l’université de Genève, est l’auteure du mémoire Vivre son cycle menstruel dans le monde professionnel : expériences multiples et préoccupations communes (2020).
Le conseil municipal de Zurich a voté en décembre 2022 un projet pilote. Les employées de la ville concernées par des troubles menstruels pourront prendre jusqu’à cinq jours de congés payés par mois. Cette annonce a suscité de vives réactions : plutôt positives de certains courants politiques et militants féministes et un rejet pour d’autres estimant que cette mesure ne servait pas l’égalité hommes-femmes. À ma connaissance, il n’y a pas eu d’autres initiatives de ce type ailleurs. Le congé menstruel est aussi un moyen de communication pour les employeurs.
Il y en avait une, et d’autres en cours de diagnostic. Mais il y avait aussi des femmes sans endométriose qui souffraient d’énormes troubles digestifs, de dépression et de fatigue prémenstruelles ou d’ovulations douloureuses. Parler de l’endométriose, c’est génial, mais se focaliser uniquement là-dessus, c’est réducteur. Il y a une diversité d’expériences dans le cycle menstruel qui ne peuvent pas être circonscrites à ce seul phénomène. Cela dit, de manière générale, les dysménorrhées sont sous-diagnostiquées.
J’ai interrogé il y a quelques mois un nouvel échantillon d’une dizaine de personnes car j’écris un livre de vulgarisation sur le sujet. C’est toujours une préoccupation d’avoir ses règles au travail au regard de la structure du monde professionnel. Les femmes continuent à avoir des emplois dans lesquels le corps est davantage mis en scène. Elles doivent prendre soin de l’autre, donc cacher les signes de fatigue, faire bonne figure. Et les positions hiérarchiques supérieures sont encore majoritairement occupées par des hommes avec qui les femmes peuvent renoncer à partager leurs difficultés.
Au moment de mon mémoire, les participantes ne savaient pas ce que c’était. Et quand je leur expliquais, leur réaction était souvent la même : « C’est génial pour celles qui en ont besoin, moi, je n’oserais pas l’utiliser… ». Elles avaient peur que cela renforce les discriminations faites aux femmes dans le cadre professionnel, que ce soit un argument pour moins les engager, moins leur donner de postes à responsabilité. Pour moi, il s’agit d’une mesure corrective que nous pouvons traduire par de la discrimination positive comme une autre. Mais le congé menstruel en lui-même ne suffit pas. Si les professionnels de santé apportaient des réponses pour réguler les troubles liés à la menstruation, il serait peut-être inutile. Il y a un problème de réponse médicale.
Les troubles pendant le cycle entraînent une combinaison de présentéisme et d’absentéisme. Je prends mon exemple personnel. Quelquefois, je disais que j’avais mal au dos parce que je n’osais pas dire que si je ne me sentais pas bien, c’était en raison de mes règles et je rentrais chez moi. Mais il y a aussi cette problématique d’être présente et inefficace. Dernièrement, j’ai plutôt vu des femmes qui, grâce à la démocratisation du télétravail, restaient travailler chez elles. Mais pour les salariées qui sont dans l’accueil, dans le service, dans les soins… c’est impossible. C’est là où l’entreprise est limitée dans les démarches qu’elle peut réaliser. Peut-on proposer un congé menstruel quand on est en sous-effectif ?
D’autres actions peuvent être menées par les employeurs : aménager des espaces de repos, mettre à disposition des bouillottes… Certaines femmes expliquent que si elles étaient simplement installées plus confortablement, elles pourraient continuer à travailler. Il y a la question de l’ergonomie, proposer des bureaux avec lesquels on peut alterner les positions, des toilettes propres avec éventuellement un kit de protection menstruelle de secours. Mes interlocutrices dénonçaient aussi souvent la difficulté de pouvoir prendre des pauses pour se changer. Toutes ces dispositions relèvent du bien-être au travail et devraient être obligatoires.