logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Chroniques

Quand la subjectivité s’invite dans l’univers du travail à l’ère de l’industrie 4.01

Chroniques | publié le : 23.01.2023 |

Image

Quand la subjectivité s’invite dans l’univers du travail à l’ère de l’industrie 4.01

Crédit photo

Véronique Blanc-Brude, doctorante-chercheuse, univ. Grenoble Alpes, Grenoble INP CERAG ; Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris

Après une pandémie ayant démontré la puissance des technologies digitales qui nous ont permis de continuer à travailler à distance, surtout dans les activités de services, c’est l’industrie qui, aujourd’hui, vit sa révolution, avec des processus productifs intégrant de plus en plus de solutions digitales – connus sous le nom d’industrie 4.0. Répondre aux enjeux d’excellence de fabrication est la promesse de l’automatisation 4.0, permettant de produire des séries personnalisées aux coûts de la production de masse. Cette transformation vers l’industrie du futur engendre des situations de travail complexes, dues à des processus de fabrication difficiles à maîtriser dans leur intégralité, un accès à distance et en temps réel à un flux de data protéiforme et à des prescriptions parfois contradictoires.

Ce processus 4.0, jugé par certains comme « la fin de la prod pure et dure »2, déplace le travail et en modifie le milieu et le contenu des métiers. Changement technologique pas comme les autres, il semble mobiliser, paradoxalement, davantage de compétences plus personnelles dans un univers toujours plus informatisé. La prise de décision rendue plus complexe donne lieu à des arbitrages permanents entre productivité, qualité et état personnel. La focalisation sur les data, multipliant les causes de dysfonctionnement, génère plus d’interactions entre les individus. Cette exposition à la transformation 4.0 impose de passer du « développement cognitif au développement des régulations subjectives »3.

Dans le contexte industriel traditionnel, la subjectivité au travail, souvent mal saisie, éradiquée voire instrumentée ne peut pas déployer ses promesses en termes de « pouvoir d’action ». Selon Yves Clot4, la prise de décision repose sur la capacité de savoir mettre « une fonction au service d’une autre : ses émotions au service de sa pensée et inversement ». Développer sa « plasticité subjective ou fonctionnelle », relevant d’un processus psychosocial, nécessite la mobilisation créative d’aptitudes non techniques : conatives (passage à l’acte), sociales (coopération, communication) et personnelles (créativité, posture apprenante). L’enjeu est donc de démontrer ici qu’une organisation peut et doit se saisir de la subjectivité au travail en tant que moteur du pouvoir d’action individuel dans le contexte de processus industriels de plus en plus fondés sur l’automatisation 4.0.

Face à cette transformation profonde de l’environnement industriel, les DRH sont interpellés dans leur rôle de pilotes de changement, pour créer des environnements propices au développement de l’efficacité au travail5 permettant la mobilisation des compétences, source de performance. Parmi les actions possibles, on peut citer le programme de formation (initiale/continue) « The Core Capabilities : les 6 C » élaboré en coopération avec Nathalie Ayet6, psychologue du travail (en cours d’expérimentation à l’université de Grenoble Alpes). Ce programme s’appuie sur le développement de l’intelligence au service du gouvernement des affects dans la prise de décision. L’objectif visé est l’acquisition d’un socle de métacompétences évaluables7 dans six domaines clés : la Connaissance de soi, la pensée Critique, la Créativité, la Coopération, la Communication et l’art du Conte.

Pour conclure, on peut souligner que cette approche n’est pas sans rappeler la question du discernement abordée dans une chronique précédente8 et en lien avec les recommandations de l’OMS (1993), de l’Unesco (2016) et du Forum économique mondial (2020), synthétisées dans un ouvrage identifiant les quatre compétences clés du 21e siècle (créativité, communication, esprit critique et coopération)9.

(1) Cette chronique s’appuie sur les résultats des travaux de recherche clinique RH menés par Véronique Blanc-Brude dans le secteur de la microélectronique (janvier 21-juillet 22) qui contribue à nourrir les référentiels de compétences en évolution liés à la transformation 4.0.

(2) Verbatim issu de propos recueillis lors de la phase exploratoire de la recherche clinique menée sur le terrain.

(3) Clot, Y. : Le travail à cœur – pour en finir avec les risques psychosociaux, La Découverte, coll. Cahiers libres, 2010.

(4) Clot, Y. : Le travail sans l’homme ? : pour une psychologie des milieux de travail et de vie, Paris, La Découverte, 1995.

(5) Co-analyse des compétences mobilisées (vs requises), organisation d’espaces-temps dédiés pour croiser les regards sur le travail et revisiter les critères de performance reconnaissant les moyens mis en œuvre pour atteindre les résultats (réflexivité).

(6) Fondatrice du cabinet Métis Développement, certifié Qualiopi.

(7) Utilisation du portfolio, véritable outil RH permettant l’élaboration du travail, utilisable en entretien de recrutement ou d’évaluation.

(8) Besseyre des Horts, CH : « 2023 sera l’année du discernement ou ne sera pas », Entreprise & Carrières, n° 1606, du 9 au 15 janvier 2023, p. 22.

(9) Lamri, J. : Les compétences du 21e siècle, Dunod, 2018.