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Les enjeux d’un nouveau collectif

Chroniques | publié le : 23.01.2023 |

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Les enjeux d’un nouveau collectif

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Benoît Serre vice-président délégué de l’ANDRH

Nous y sommes donc. La réforme des retraites vient poser un enjeu supplémentaire sur les politiques RH à moyen et à long terme des entreprises. Le prolongement de la vie au travail est une gageure depuis longtemps, mais la période que nous traversons lui donne une acuité particulière, car elle réunit des défis inédits jusqu’ici. Il y a bien sûr le rapport au travail, bouleversé par la pandémie, mais aussi la question centrale de la qualité du travail, parfois délaissée au profit de la qualité de vie au travail. Certains syndicats s’emparent ces derniers mois de cet enjeu de qualité de l’activité elle-même, c’est-à-dire de son sens, de son utilité, de sa reconnaissance, qui constituent les trois axes de la motivation et donc de la raison d’agir. Le rapport au temps, sa confrontation avec la vie personnelle, tout comme le rapport à l’environnement sont aussi questionnés, au même titre que le périmètre de l’entreprise elle-même. Allons-nous vers un modèle où une organisation n’est plus un circuit « fermé » de production mais un écosystème multisite, multimétier et surtout multicontrat ? Les réflexions menées actuellement autour d’un compte épargne-temps transférable pourraient demain conduire à une individualisation encore plus forte du travail comme du salarié lui-même, puisque chacun pourrait gérer son temps de travail par l’épargne en fonction de ses choix de vie et de rythme. En y ajoutant les possibilités offertes tant par le télétravail que par la digitalisation, nous pourrions avoir à gérer dans nos entreprises des situations individuelles si variées et probablement si instables que le maintien du collectif sera si ce n’est difficile, du moins très complexe à construire et à maintenir.

Depuis la pandémie, nous savons que le collectif est central, mais qu’il est fragile et chacun se souvient de la difficulté à faire revenir les collaborateurs sur site. Certains le vivent encore. Avec désormais quelques mois de recul, nous observons aussi que les comportements comme les attentes changent avec l’âge, les responsabilités, les aspirations personnelles, les contraintes familiales. La réforme des retraites, avec l’impérieuse nécessité de maintenir en emploi plus longtemps, viendra ajouter un défi majeur : faire cohabiter de manière durable trois générations au sein de l’entreprise. Il s’agit là d’un élément nouveau dans le fonctionnement du collectif. Ce n’est pas en estimant que les seniors ont pour seul rôle la transmission, le mentorat ou le tutorat que nous parviendrons à bâtir ce nouveau collectif – que les évolutions de la société au travail exigent d’imaginer.

En effet, le débat sur la réforme des retraites met l’accent – pour la justifier socialement – sur l’importance historique et presque morale de la solidarité entre les générations. C’est juste sur un plan général, mais c’est également vrai au sein même des organisations. Cette solidarité s’exprime déjà idéalement avec le projet d’entreprise, sa raison d’être et d’exister. Elle s’exprime aussi au sein même des équipes, solidaires entre elles, parfois même au détriment ou en concurrence avec la structure hiérarchique et donc indépendamment de l’objet de production lui-même. Chacun reconnaît aujourd’hui que le rôle de lien social de l’entreprise est fondamental et si l’État comme les organisations ont une responsabilité pour faire vivre ce collectif multigénérationnel, il faut surtout compter sur les salariés eux-mêmes, qui s’en empareront encore plus. Il est d’ailleurs curieux de constater que, bien souvent, les politiques publiques mises en œuvre pour favoriser l’emploi des jeunes consistaient à partiellement les opposer à la génération des seniors, comme le contrat de génération ou le très ancien CPE. Contrairement aux craintes parfois exprimées, le conflit intergénérationnel en entreprise n’a pas de réalité et c’est désormais plutôt une solidarité qui se fait jour. Les aspirations à de nouveaux équilibres de vie, à un rapport au travail plus sain et plus exigeant, sont le fait de toutes les générations d’emploi. Il n’y a que la manière de les exprimer ou de les décrire qui les différencie, mais pas le fond.

C’est sur cette base d’une solidarité entre toutes et tous dans la volonté de trouver de nouveaux équilibres de vie et de travail que les DRH doivent s’appuyer pour inventer leur stratégie. Ce prisme fondamental de la solidarité entre collaborateurs permettra de construire ce nouveau collectif vital pour l’avenir de toute organisation, petite ou grande, publique ou privée. C’est à ce prix que la solidarité nationale se renforcera, grâce à la force des solidarités professionnelles. Sinon, l’individualisme qui ronge parfois nos entreprises s’attaquera à la société dans son ensemble…