logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

Entretien : « Les entreprises doivent aller au-delà du droit à la déconnexion »

Le point sur | publié le : 16.01.2023 | Irène Lopez

Les deux siècles passés ont connu les dépendances aux drogues et à l’alcool. Le 21e siècle nous plonge dans une toxicomanie d’un genre nouveau : la cyberdépendance. Alexis Peschard, addictologue et auteur de Tous accros aux écrans, accompagne les personnes cyberdépendantes et intervient auprès des entreprises avant que l’addiction ne s’installe.

À partir de quand peut-on réellement parler d’addiction ?

La frontière est d’autant plus ténue que les addictions comportementales se fondent sur des pratiques socialement valorisées. Il faut être connecté pour être performant dans son travail. En outre, le sujet est banalisé. On ne se vante pas d’être « accro au sexe ». En revanche, nous sommes nombreux à dire : « Je suis accro à mon portable » sans que cela soit mal vu… L’hyperconnexion se caractérise par un temps d’écran supérieur à 7 h 30 par jour (en cumulant activité professionnelle, récréative, etc.). Je précise que l’on peut être hyperconnecté sans être cyberdépendant. La pratique des écrans est addictive quand elle devient la seule source de plaisir et de bien-être. Il faut bien avoir en tête que l’addiction est une pathologie. Elle conduit à la perte de contrôle sur la quantité et le temps dédié, l’incapacité de remplir des obligations importantes et la poursuite de la consommation – malgré les dégâts physiques ou psychologiques.

Quelle est l’ampleur du phénomène ?

Selon les résultats d’un sondage Odoxa réalisé en octobre 2020, 14,5 millions de Français présentent une pratique d’usage des écrans à risque de cyberdépendance. Et 44 % des actifs, en particulier les cadres, déclarent ne pas parvenir à couper leur smartphone « souvent » ou « de temps en temps ». J’ai accompagné Caroline, 42 ans, salariée dans une petite agence parisienne de relations presse. Elle possède trois téléphones : un personnel et deux professionnels. Au début, elle trouvait cela très pratique. Elle était multitâche. Elle pouvait mener une conversation téléphonique tout en envoyant un message et surveiller son fil d’actualités Twitter. La réalité, c’est qu’elle est devenue esclave de ses smartphones. Elle ne déconnecte jamais. Elle ne s’en est inquiétée que lorsqu’elle a pris le ferry pour aller en Sicile avec sa famille l’été dernier. À bord, en pleine mer, elle n’avait pas de réseau. Elle est devenue nerveuse et irritable, comme lorsqu’elle avait arrêté de fumer. L’addiction aux écrans entraîne des effets sur la concentration, la forme physique, l’efficacité au travail, les relations avec les collègues…

Beaucoup de cyberdépendants sont dans le déni. Comment savoir si l’on est dépendant aux écrans ?

Il existe des autotests, validés scientifiquement, qui permettent de faire le point sur votre cyberdépendance. Il s’agit d’une liste d’affirmations que le participant note de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (totalement d’accord). Par exemple : « Sans smartphone pendant un moment, je ressens le besoin de consulter. Ne pas pouvoir m’informer sur mon téléphone me rend nerveux. Sans signal ou connexion Wi-Fi, je vérifie constamment mon téléphone pour voir si le signal revient », etc. Si l’addition des points dépasse 32, le participant utilise excessivement son smartphone.

Comment sortir de la cyberdépendance ?

En vacances et pendant le week-end, paramétrez un message d’absence sur votre boîte e-mail et sur votre téléphone professionnel, mettez en place un relais dans votre entreprise, prévenez vos interlocuteurs de votre départ, désactivez les notifications (LinkedIn, Twitter). Si vous avez un seul smartphone pour le privé et le professionnel, désinstallez votre boîte e-mail professionnelle pour éviter toute tentation. Dans la vie quotidienne, ne répondez pas systématiquement, même si vous êtes disponible. Priorisez vos réponses selon les degrés d’urgence. Le soir, n’utilisez pas votre smartphone avant de vous coucher. Dans la journée, préférez les écouteurs ou le mode haut-parleur de votre téléphone pour éviter une surconsommation d’écran. Le matin, comme pour la première cigarette, retardez le plus possible le moment d’allumer votre smartphone. Essayez de tenir une heure après votre lever. Si cela vous semble objectivement difficile, consultez un professionnel de santé.

Comment les entreprises françaises sensibilisent-elles leurs salariés ?

En 2022, seuls 21 % des Français avaient reçu une sensibilisation dont 7 % dans le cadre du travail ! En général, je constate que les entreprises qui traitent le sujet le font sous l’angle de l’hyperconnexion et pas de la cyberdépendance. On ne parle pas d’addiction. Elles doivent aller au-delà du droit à la déconnexion et l’intégrer à leur politique.

Auteur

  • Irène Lopez