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« Il va falloir savoir retenir les salariés »

Le point sur | publié le : 12.12.2022 | Adeline Raynal

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Entretien : « Il va falloir savoir retenir les salariés »

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Khalil Ait-Mouloud est directeur de l’activité Enquête de rémunération au sein de WTW, société de conseil anglo-américaine. Il forme notamment des managers au déploiement de la politique de rémunération.

Les entretiens annuels ont-ils un enjeu particulier cette année ?

Oui, clairement. D’une part, car l’inflation que l’on connaît actuellement va avoir un impact sur tous les salariés : ils vont probablement avoir des attentes précises de réévaluation de leur rémunération afin de préserver leur pouvoir d’achat. D’autre part, nous sommes dans une situation générale de tension sur le marché du travail. Dans certains métiers, les employeurs rencontrent des difficultés à attirer de nouveaux talents, le taux de chômage est relativement bas, et pour les entreprises, il va donc falloir savoir retenir leurs salariés pour ne pas subir un turn-over coûteux.

Quels conseils donnez-vous concernant l’évolution de la rémunération ?

Nous avons mené une étude sur la prévision des budgets dévolus aux augmentations pour 2023 et la tendance qui se dessine, c’est qu’en moyenne, les entreprises prévoient d’accorder 4 % de hausse de salaire. C’est supérieur à la norme des dix dernières années, où l’on se situait aux alentours de 2,5 %. Toutefois, ce niveau demeure inférieur à celui de l’inflation : de 6 % à 6,5 % d’après les dernières prévisions. Il risque donc d’y avoir des déceptions et des négociations âpres…

Ce qui est important dans ce contexte, pour les DRH et les directions, c’est de mettre du rationnel dans les décisions budgétaires en cours de finalisation avec les partenaires sociaux. Les arguments qu’ils peuvent apporter sont les suivants : le lien entre le budget d’augmentation et l’inflation n’est pas automatique, puisqu’avant, l’on observait des budgets d’augmentation supérieurs à l’inflation. C’est une première remise en perspective.

Ensuite, il faut expliquer la réalité économique des entreprises : faut-il alourdir les coûts pour l’année prochaine ? Il s’agit de trouver le bon équilibre entre les augmentations salariales accordées et la perspective d’une récession en 2023. On peut expliquer que si l’on accorde une forte augmentation, dans un contexte d’inflation mais aussi de réduction nécessaire des dépenses, il y a un risque possible de suppression d’emplois. Le curseur est assez difficile à placer, y compris pour les économistes, afin de préserver les emplois tout en accordant une rémunération plus élevée.

Conseillez-vous de parier sur d’autres éléments ?

Absolument. Nous proposons de miser sur deux types d’éléments. Monétaires, d’abord : l’inflation étant un phénomène ponctuel, on peut y répondre par une mesure ponctuelle comme une prime de partage de valeur ou une prime exceptionnelle, en ciblant les salaires les plus bas, afin de compenser la perte de pouvoir d’achat. Une telle prime est exonérée de cotisations sociales et d’impôts. Nous proposons d’octroyer 5 % aux salariés qui ont un salaire annuel de moins de 30 000 ou 40 000 euros brut et seulement 3 % pour les autres. Ensuite, la rétribution non monétaire. Dans le cadre de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise, il est important d’accompagner les salariés dans leur quête de sens au travail. Plus de la moitié des sociétés se penchent sur ce sujet. De plus, il faut donner une vision claire au salarié concernant ses possibilités d’évolution de carrière au sein de l’entreprise. Or c’est souvent très difficile. De plus en plus de nos clients souhaitent clarifier les parcours de carrière. Ils ont tendance à davantage mettre l’accent sur la formation et le développement professionnel. Troisième possibilité : améliorer la couverture santé (mutuelle). De nombreuses entreprises ont revu les contrats avec les assureurs pour proposer des couvertures plus complètes et plus personnalisées à leurs salariés. Enfin, on peut favoriser la flexibilité et les possibilités de télétravail. Tout cela compte énormément pour les salariés.

Quelle posture adopter pour bien réussir ces entretiens annuels ?

Il est conseillé d’adopter une posture d’écoute active et de prise en considération, dans la mesure du possible, des attentes des salariés, qui peuvent être très différentes selon les générations. Les managers se trouvent souvent démunis, car ils n’ont pas eu les informations nécessaires sur la stratégie de rémunération de l’entreprise. Il est essentiel de leur fournir en amont des éléments de discours, rationnel, notamment sur la situation générale de l’entreprise. Les DRH doivent donner des clés de lecture. Un accompagnement des RH est un élément critique dans la réussite de la gestion de la performance au sein de l’entreprise et dans la réussite des entretiens annuels.

Quelle transparence adopter pour expliquer les marges de manœuvre de l’entreprise au moment de négocier des augmentations de salaire ou les primes ?

La question de la transparence est clé. Au sein de l’entreprise, c’est toujours assez compliqué, sur les questions liées à la rémunération, de répondre à l’envie de transparence qu’ont les salariés. Or ils veulent savoir quels sont les éléments pris en considération pour faire évoluer leur rémunération. Souvent, cette évolution dépend du niveau de maîtrise du poste. Le fait d’expliquer les choix est une tendance observée depuis la fin des années 2010, venue des États-Unis. Elle s’accentue depuis deux ans.

Comment faire pour personnaliser les éléments de motivation accordés ?

La tendance actuelle consiste à conduire des enquêtes auprès des salariés afin de comprendre leurs préférences et de s’y adapter selon les attentes spécifiques de chacun : certains préféreront une aide à la garde d’enfant quand d’autres privilégieront une participation à un abonnement sportif, le financement d’une solution de mobilité durable ou une meilleure couverture dentaire. Au Royaume-Uni et en Belgique par exemple, cette personnalisation se pratique déjà beaucoup.

Auteur

  • Adeline Raynal