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Le grand entretien

« L’entreprise full-RSE n’est pas une utopie »

Le grand entretien | publié le : 12.12.2022 | Natasha Laporte

Dans le cadre d’une récente étude dévolue à la responsabilité sociale et environnementale, l’Institut de l’entreprise a réuni une dizaine de fonctions – des ressources humaines à la direction générale en passant par la communication, les achats, la finance… – pour passer au crible l’évolution de ces métiers à l’horizon 2030. Paul Allibert, directeur général du think tank, brosse le portrait d’un modèle d’organisation ayant intégré la RSE à sa stratégie native – dans lequel les DRH jouent un rôle central.

Votre étude, parue en juin dernier, s’intitule : « L’entreprise full-RSE ». Qu’est-ce qu’une entreprise full-RSE ?

C’est une entreprise qui a réconcilié ses objectifs productifs avec la perception de leur utilité pour la société, quel que soit son secteur. De même, c’est une entreprise qui a réussi à intégrer à tous les niveaux de son organisation la pratique des standards les plus élevés en matière d’attention au corps social et de respect des contraintes environnementales. Autrement dit, c’est une entreprise qui est socialement et environnementalement bénéficiaire et positive.

Vous avez rassemblé les dirigeants d’une centaine d’entreprises ainsi qu’une dizaine de fonctions, de même que des chercheurs et des associations pour échanger sur leur pratique de la RSE. Quelles principales évolutions constatez-vous ?

La conscience, dans les entreprises, est en pleine bascule conceptuelle et d’une ampleur inédite. Depuis la révolution industrielle, nous avons été formatés dans notre société pour considérer que l’entreprise était chargée de s’appuyer sur ses ressources – la nature, l’éducation, les ressources humaines, etc. – pour prospérer et être vecteur de prospérité. Aujourd’hui, on ressent l’inverse. Nombre d’entreprises ont pris conscience que leur activité doit servir la société, l’humain, l’éducation et la nature. Elles sont en passe de construire des stratégies et un sens de l’action à rebours de ce qui a été fait depuis deux cents ans. Un grand nombre d’entre elles ont d’ores et déjà commencé à repenser leurs processus de production, leurs objectifs, leur manière d’évaluer la performance. Et cela bouge très vite. Nous sommes dans une dynamique concrète, loin de l’abstraction et de l’utopie. Une dynamique qui part du terrain, puisqu’il y a une attente concrète des salariés, notamment des jeunes, de se lever le matin et d’aller travailler dans un cadre porteur de sens.

Comment les différentes fonctions se projettent-elles en 2030 ?

L’ensemble des fonctions que nous avons interrogées pensent qu’elles auront une place structurante et à l’avant-garde de la transformation RSE de l’entreprise. Bien évidemment, tout le monde ne peut pas être au même niveau dans le pilotage stratégique d’une démarche d’entreprise. Mais les dix fonctions que nous avons sondées – et d’autres que nous interrogeons actuellement – se voient impliquées et aucune ne se sent exonérée de la nécessité de se transformer. Même les fonctions support comme le juridique travaillent sur l’intégration à tous les niveaux de leur action, de leurs pratiques, de leur management et de leurs productions des exigences de la RSE de l’entreprise. Cela est particulièrement vrai pour les RH.

Comment les DRH voient-ils leur rôle dans cette transformation ? Et avec quels défis ?

Les attentes de la société sont marquées par l’immédiateté : on voudrait que les entreprises aient tout modifié entre les COP 25, 26 et 27… Mais les DRH, comme les autres fonctions, d’ailleurs, nous rappellent que bouger vite peut néanmoins prendre des années… Autre aspect, la difficulté sur le plan de la formation est un sujet au cœur des réflexions des chefs d’entreprise et des DRH. La question se pose de savoir comment contribuer en tant qu’entreprise à la formation des jeunes et la création d’écoles pour des métiers d’avenir dans une économie qui se transforme. Par exemple, l’entreprise doit-elle prendre en charge une partie de la formation des jeunes ? Plus généralement, les directions des ressources humaines se voient aujourd’hui non seulement comme des pivots qui contribuent, par le recrutement et la gestion RH, à la compétitivité de l’entreprise, mais aussi, avec la RSE, comme dépositaires d’un enjeu d’attractivité en tant qu’employeur. Si les RH n’ont pas intégré la nécessité d’avoir des talents ou des formations qui permettent d’aller jusqu’au bout de la logique RSE, les entreprises risquent non seulement de perdre en attractivité vis-à-vis des salariés et des futurs salariés, mais également vis-à-vis de la clientèle. Enfin, la RSE est réellement sortie du domaine de la communication et les DRH sont authentiquement attachées à contribuer à l’exercice de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise. En résumé, les DRH ont vécu une mutation rapide, qui part du terrain et des attentes des collaborateurs, et font face à un enjeu très fort de gestion du temps nécessaire à la transformation, mais aussi à un enjeu clé sur la manière de préparer les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, de même qu’à un enjeu stratégique autour de l’attractivité des entreprises à travers leurs objectifs de la RSE.

Donnez-nous un exemple concret concernant la formation…

C’est à travers les directions des ressources humaines que sont choisis et préparés les futurs collaborateurs de l’entreprise, et c’est donc aussi aux DRH de penser la manière de s’adresser à de nouvelles générations. Par exemple, dans l’aéroportuaire, puisque l’industrie aéronautique s’apprête à la transition vers l’hydrogène. Problème, rien n’est organisé pour cela aujourd’hui. Si un avion à hydrogène se pose dans un aéroport, il n’y a pas d’équipe au sol pour faire la maintenance, personne ne sait le faire. Il y a donc un enjeu, celui d’aller provoquer des mutations dans l’outil de formation, afin de préparer de nouvelles générations de techniciens et de techniciennes qui puissent alimenter dans dix ans des équipes de maintenance des avions à hydrogène dans tous les aéroports. Ainsi, ce n’est pas seulement une réaction aux attentes du marché, les entreprises doivent être initiatrices.

Quelles autres fonctions se sentent particulièrement affectées ?

La fonction de communication se sent très investie et a véritablement à cœur de sortir de l’étiquette de green washing et de social washing. Elle veut se mettre entièrement au service de l’entreprise full-RSE et se voit aujourd’hui comme une alliée, tant en interne, pour transmettre la vision de l’entreprise, qu’à l’externe, pour expliquer la façon dont la RSE infuse la stratégie de l’entreprise dans l’ensemble de sa chaîne de valeur. Autre fonction concernée au premier chef, la finance. Elle a conscience que son référentiel a vocation à évoluer, notamment en incluant la comptabilité sociale et environnementale à la comptabilité économique.

Quelle évolution pour les compétences ?

C’est la transformation environnementale qui porte le plus grand éventail de compétences et de savoir-faire n’existant pas encore. Aujourd’hui, les entreprises ont besoin d’intégrer des spécialistes de tout un nouvel ensemble de compétences, spécifiquement liées à l’amélioration de l’empreinte écologique de l’entreprise. Le E de RSE est le plus porteur de création de nouveaux métiers et de nouvelles compétences. Et les entreprises ont bien conscience de ces enjeux. Notre étude relève aussi l’importance des soft skills. Ainsi, dans une entreprise full-RSE qui a vocation à être de plus en plus ouverte et sans silos apparaît le besoin de capacité à embarquer les collaborateurs au sein d’une même culture, ainsi que la capacité à travailler en communauté sur des projets et sujets différents et non plus seulement au sein de son équipe fonctionnelle habituelle. Par ailleurs, différentes fonctions, y compris techniques, évoquent la nécessité d’une diversification des profils dans leurs équipes, afin de travailler de plus en plus en cross-fonctions et avoir des équipes capables de dialoguer entre elles. Sans oublier l’importance de la formation continue, de l’upskilling notamment, et du reskilling.

Quelle gouvernance faut-il envisager pour une entreprise full-RSE ?

Pour être capable de penser une évolution, comme dans l’exemple de l’hydrogène et de l’aérien, un DRH ne peut rien faire tout seul. D’abord, il faut qu’il ait un mandat de son directeur général pour agir sur un tel sujet. Et le DG lui-même doit avoir avec lui un conseil prêt à préparer et investir sur quelque chose qui n’est pas encore concret et qui attend l’apparition d’une filière de formation. Autre exemple, dans le domaine du retraitement de l’eau et des déchets dans une économie circulaire, où l’effort de R&D pour y répondre se pense sur une quinzaine d’années. Pour pouvoir maintenir cet effort sur la durée et financer des équipes de recherche ou chercher des solutions à l’extérieur, il faut une volonté de long terme. Nous préparons d’ailleurs un nouvel atelier sur le financement. Se pose en effet la question de savoir qui va fournir les capitaux, pendant plusieurs décennies, parfois, pour faire avancer l’innovation… Ainsi, le financement de l’entreprise et la gouvernance évoluent également aujourd’hui et les entreprises sont en passe de revoir leur logiciel de fonctionnement pour pouvoir répondre aux attentes d’une société plus verte et plus solidaire.

Parcours

Paul Allibert est directeur général de l’Institut de l’entreprise, qu’il a rejoint en mai 2017 après huit ans dans le Groupe Allianz. Ancien élève de l’École normale supérieure de Lyon en philosophie et diplômé d’HEC, il défend la contribution des entreprises à l’intérêt général tout en prônant une meilleure intégration de la RSE dans leurs finalités.

Auteur

  • Natasha Laporte