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Ressources humaines : le moment de construire

Chroniques | publié le : 12.12.2022 |

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Ressources humaines : le moment de construire

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Par Benoît Serre vice-président délégué de l’ANDRH

Nous avons rarement connu un tel cumul de crises multiples et protéiformes. La période que nous traversons pourrait à ce titre constituer un moment de bascule systémique qui touchera les organisations, les mouvements politiques, les équilibres, même, de notre société, elle-même en déséquilibre depuis des décennies. Tout cela pourrait nous engager à attendre que cela passe, comme d’une certaine manière nous l’avons fait précédemment – avec des conséquences individuelles parfois dévastatrices, mais un fonctionnement collectif finalement assez résilient.

Cela semble cette fois difficile à concevoir puisqu’aux crises conjoncturelles vient s’ajouter une transformation structurelle au sein même des organisations comme de la société elle-même. La crise climatique, désormais évidente dans nos vies, la prise de conscience que l’énergie n’est pas indéfinie et la réinterrogation centrale de la place du travail (malgré les appels médiatiques comme le droit à la paresse) constituent un moment de rupture profond avec un modèle de fonctionnement finalement assez stable depuis plus d’un siècle. Ces mouvements de fond de la société ne doivent pas faire oublier que chaque entreprise, quelle que soit sa taille ou sa culture, est traversée par ces tendances sociétales non seulement du fait de ses clients, mais aussi de ses propres collaborateurs. La capacité de la fonction RH à capter ces évolutions est fondamentale, car elles se traduisent dans le quotidien de l’entreprise, au travers de son management, son recrutement et sa fidélisation. À en croire les oracles économiques, nous pourrions dans les prochains mois entrer dans une période de récession. Rien ne serait plus dangereux que de considérer qu’après une phase où le rapport au travail comme à l’entreprise et parfois même à l’employeur était remis en cause, la réalité mettrait fin à cette tendance d’évolution.

Ce nouveau regard de la société – et pas uniquement des nouvelles générations – sur le travail, sa place et ses contraintes plus ou moins acceptables ou consenties ne cessera pas avec cette éventuelle récession. Il constitue la cristallisation d’aspirations déjà anciennes et, à ce titre, la crise sanitaire que nous traversons encore marque comme un point de rupture, car elle a paradoxalement donné le temps aux personnes de s’interroger sur leur travail, son sens, l’équilibre qu’il procure ou interdit, sa valeur ou sa reconnaissance. Cette prise de conscience ne cessera pas. Au mieux, elle sera peut-être remisée, le temps de passer une nouvelle crise économique, mais ses fondamentaux resteront. La fonction RH doit pouvoir garder en visée le fait que les salariés comme les candidats ont changé, que leur évaluation du travail comme de sa place est nouvelle et que cela oblige à poursuivre le travail de rénovation RH profond engagé.

Les RH ont cette responsabilité et devront avoir ce courage d’affronter parfois les tendances inverses, comme un retour à une normalité dont plus personne ne veut. Ils devront faire comprendre que les transformations initiées durant la période actuelle, notamment marquée par un marché de l’emploi dynamique et les difficultés de recrutement comme de fidélisation, doivent être poursuivies. Nous sommes dans un moment de rupture quasi consommée et la réalité économique ne changera pas cet état, car la réalité sociale est désormais celle-là. Les attentes d’une plus grande liberté d’organisation dans le travail, l’exigence de transparence, de confiance, d’engagement dans la lutte contre le changement climatique sont désormais des faits plus que des intentions qui s’expriment clairement. Les oublier au nom d’une récession programmée reviendrait à donner un avantage définitif à certains métiers rares qui pourront continuer à les imposer au détriment d’autres qui ne le pourront pas et se réfugieront dans une passivité professionnelle ou une tension sociale.

Pour faire face à cela, les RH doivent se remettre en cause non en abandonnant les dimensions techniques de leur métier, mais en y adjoignant une vision à long terme et surtout une sensibilité renforcée aux tendances qui traverseront tout autant la société en général que leur entreprise en particulier. Ce ne sera pas forcément facile d’être écouté, mais la crise a eu au moins cette vertu de faire prendre conscience au plus grand nombre qu’une entreprise sans hommes ni femmes présents et engagés n’en est plus vraiment une et se fragilise. Les RH sont les garants de cette évidence parfois un peu oubliée.