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Le grand entretien

« L’absence de dialogue social dans une organisation nuit à son bon fonctionnement »

Le grand entretien | publié le : 28.11.2022 | Frédéric Brillet

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« L’absence de dialogue social dans une organisation nuit à son bon fonctionnement »

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Dans Relations sociales en pratique, osez le dialogue !, ouvrage pratique publié chez Dunod, les auteurs, David Hindley et Magali Courmontagne, analysent les éléments de blocage du dialogue social et les moyens concrets de l’améliorer, et ce, dans l’intérêt de toutes les parties prenantes…

Pourquoi ce titre « Osez le dialogue social » ? Est-ce à dire qu’il peine à s’imposer ?

Effectivement, le dialogue social demeure insuffisant, d’autant qu’il ne se limite pas à la relation entre les RH et les représentants du personnel : il concerne l’ensemble des dynamiques sociales entre toutes les parties prenantes, à commencer par les directions et le management. Non seulement il est rarement appréhendé de façon holistique, mais les ingrédients essentiels à un dialogue de qualité font souvent défaut. C’est regrettable car dans le contexte actuel, le développement d’un contre-pouvoir sain encourage l’émergence de compromis qui vont générer de la valeur ajoutée pour l’entreprise en renforçant la confiance entre les parties prenantes. Une bonne gestion du dialogue social favorise ainsi le traitement des irritants (problématiques du quotidien) et la prévention des conflits.

D’où vient cette insuffisance ?

Contrairement à d’autres États européens comme les pays nordiques, où l’adhésion à un syndicat ouvre des droits et permet de bénéficier de services sociaux spécifiques, les salariés français profitent tous des accords signés dans une entreprise, qu’ils soient adhérents, sympathisants, indifférents ou même hostiles aux syndicats. Ce système n’incite pas à prendre sa carte et la France affiche d’ailleurs un taux de syndicalisation parmi les plus faibles en Europe. Les salariés français ne font guère confiance à la négociation collective et au dialogue social pour défendre leurs intérêts. Or la confiance constitue le carburant essentiel des relations interpersonnelles et sociales et influe sur la qualité du dialogue social. Mais elle est fragile par nature : il faut du temps pour la construire et elle se perd très vite. Ce manque de confiance des partenaires sociaux mine finalement le dialogue social car regarder autrui comme un adversaire ou un ennemi, c’est générer de la tension. Et cela vaut pour les représentants de la direction et du personnel. À l’inverse, un regard bienveillant et respectueux favorise la collaboration tout en conservant des frictions constructives inhérentes à toute négociation.

Quel lien peut-on établir entre performance économique et dialogue social ?

La performance d’une entreprise se mesure sur le plan économique, social et environnemental. Or ce volet social ne peut exister sans un dialogue de qualité, qui régule des dynamiques sociales, en interne comme en externe. La DRH peut le favoriser en adoptant les postures adéquates (vision positive, authenticité, écoute…), en formant les parties prenantes au dialogue et en le valorisant. La conflictualité et les tensions diminuant, les entreprises concernées éprouvent alors moins le besoin de se référer au Code du travail et à la jurisprudence pour dialoguer, mais quand bien même, la connaissance du cadre légal demeure indispensable.

Vous constatez dans les entreprises des réticences à s’impliquer dans les relations sociales. Pourquoi ?

Quand le dialogue social n’est perçu que comme une relation conflictuelle, reposant exclusivement sur une approche juridique et technique du sujet, déconnecté de la représentation des intérêts des parties prenantes, il ne faut pas s’étonner que plus personne ne souhaite s’y engager. Et ce, aussi bien du côté des représentants du personnel que du côté de la direction, c’est-à-dire les RH ou les managers. C’est terrible, car l’absence de dialogue social dans une organisation nuit à son bon fonctionnement. Pour y remédier, il faut le revaloriser et montrer qu’il crée de la valeur ajoutée pour toutes les parties prenantes, à partir de la friction positive entre différentes perspectives. Cela se fait notamment en signant des accords coconstruits, en les valorisant et surtout en les appliquant !

Comment le dialogue social contribue-t-il à transformer l’entreprise ?

La transformation d’une organisation ne peut être pensée à huis clos sans un minimum d’implication des parties prenantes, autrement dit sans dialogue social. Non seulement le changement risque d’être déconnecté de la réalité des acteurs de terrain, mais en plus, il sera moins bien accepté. In fine, l’entreprise en paiera un prix élevé : perte de temps, coûts supplémentaires et dégradation du climat social. Ce risque affecte toutes les parties prenantes et pas seulement les représentants du personnel : l’engagement au travail des managers ou des salariés peut aussi diminuer.

Qu’est-ce qui a changé ces dernières années dans le pilotage du dialogue social par les DRH ?

La volonté des pouvoirs publics de favoriser le dialogue social au plus proche du terrain a accru considérablement les thèmes de négociation qui impliquent les DRH. Les politiques sociales coconstruites qui résultaient d’initiatives d’entreprises volontaristes se sont diffusées dans toutes les organisations. Avec plus de 70 000 accords négociés chaque année, la France se trouve confrontée à un double phénomène : d’une part, un développement massif de la négociation collective et d’autre part, un affaiblissement des acteurs syndicaux. C’est une source d’inquiétude majeure pour les syndicats mais aussi pour les directions d’entreprise qui ont besoin d’interlocuteurs légitimes pour négocier !

Comment évolue le rôle des managers dans le dialogue social ?

Le dialogue social ne relève pas exclusivement de la direction et de la DRH, il concerne l’ensemble des parties prenantes dans l’entreprise et tout particulièrement les managers. En étant proches du terrain, en traitant les irritants de leur périmètre, en répondant aux interrogations des membres de leurs équipes, ils favorisent un dialogue social sain et agissent tout particulièrement sur la prévention des tensions, voire des conflits sociaux.

Y a-t-il des règles à suivre pour mener à bien une négociation sociale ?

Absolument. Avant d’ouvrir la négociation, il faut par exemple veiller à préserver la qualité de la relation avec les partenaires sociaux, de manière qu’elle soit au même niveau à la sortie de négociation qu’à son entrée. Il est nécessaire, également, de bien comprendre les préoccupations des salariés et de leurs représentants. Ceci passe par le terrain et les remontées d’information de managers de proximité, mais également par les rencontres bilatérales.

Quel impact la loi sur les accords d’entreprise signés avec les syndicats majoritaires a-t-elle eu sur le dialogue social ?

Ce nouveau cadre juridique favorise des jeux d’alliance entre organisations syndicales qui ne s’entendent pas forcément. Dans ce contexte, la médiation peut s’avérer alors utile pour traiter des divergences en distribuant la parole entre les parties en désaccord et en favorisant l’émergence d’une solution.

Qu’est-ce qu’a changé la création du CSE au dialogue social ? De nombreux élus du personnel estiment que cette réforme le dégrade…

La mise en place du CSE a eu pour principale vertu de simplifier le champ des instances représentatives du personnel en évitant, par exemple, de devoir traiter une même question devant plusieurs instances, même si, finalement, la réponse était apportée plusieurs fois devant les mêmes interlocuteurs. Certains acteurs du dialogue social et, pour l’essentiel, des représentants des organisations syndicales, considèrent cependant que la concentration du dialogue social au sein d’une instance unique appauvrit leur mission. Le CSE reprend en effet les anciennes prérogatives du comité d’entreprise, des délégués du personnel et du CHSCT, la CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail) n’étant plus une instance de consultation. Cette critique doit être nuancée : si les parties prenantes à la négociation font preuve d’ouverture, ce CSE peut s’avérer très efficace en apportant une vision plus générale des préoccupations et des difficultés de l’entreprise et de ses salariés. En outre, il demeure possible, par accord, de décentraliser cette vision générale dévolue au CSE en élargissant le périmètre des interlocuteurs de l’entreprise (par exemple, par la mise en place des représentants de proximité, l’élargissement des compétences de la CSSCT…).

Quelles conséquences le développement du télétravail et des outils de réunion à distance a-t-il sur les relations sociales ?

Le distanciel peut perturber les élus du personnel. La plupart des leaders syndicaux ont dépassé la cinquantaine et ont été formés uniquement au présentiel et aux techniques et outils qui y sont attachés. Ils éprouvent des difficultés à instaurer une proximité avec les salariés lorsqu’une bonne partie du travail s’effectue en dehors des locaux de l’entreprise. Dans ce contexte, ils s’interrogent sur la manière dont ils peuvent augmenter, voire simplement maintenir le taux de syndicalisation. Enfin, on constate, lors des négociations, que le distanciel introduit plus d’efficacité. Mais il a également pour corollaire de limiter la pression qui peut être exercée lors des échanges. On capte en effet moins facilement le regard de l’autre, plus difficile à convaincre lorsque s’intercale l’écran d’un ordinateur entre les deux parties.

Parcours

Psychologue de formation et diplômé en ressources humaines du Ciffop (Paris II-Assas), David Hindley est actuellement DRH dans une multinationale américaine, fonction qu’il a auparavant occupée dans différentes entreprises : Areva, Axa, Disney et Danone, pour laquelle il a notamment été directeur mondial des relations sociales.

Magali Courmontagne, qui a œuvré deux décennies dans le champ des relations sociales, a notamment occupé durant onze ans le poste de directrice des relations sociales d’une multinationale, ce qui l’a amenée à négocier et conclure 140 accords. Depuis 2017, elle accompagne, par le conseil et la formation, les dirigeants, DRH et managers dans une pratique efficace des relations sociales.

Auteur

  • Frédéric Brillet