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« L’Allemagne a une politique très proactive pour attirer les talents »

Tendances | publié le : 21.11.2022 | Natasha Laporte

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Entretien : « L’Allemagne a une politique très proactive pour attirer les talents »

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Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l’OCDE, brosse le portrait statistique des différentes catégories d’immigrants en France et esquisse un comparatif avec d’autres pays développés, notamment européens.

Quelle photographie de l’immigration en France vos études montrent-elles ?

Jean-Christophe Dumont : Tant en termes de flux annuel que de pourcentage de l’immigration au sein de la population, la France se situe plutôt en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. Nous avons comptabilisé pour la France 280 000 entrées en 2021, incluant les Européens qui viennent s’installer durablement, mais n’incluant pas les étudiants, sauf quand ils changent de statut vers un titre permanent. Les statistiques du ministère de l’Intérieur français font état en 2021 de 270 000 titres de séjour, incluant les étudiants mais pas les Européens. Rapporté à la population française, cela représente environ 0,4 % de la population, alors qu’à titre de comparaison, pour l’Allemagne, ce taux est de 0,8 %, pour la Belgique, à près de 1 %, pour la Suède à 1,2 % et pour l’Espagne, de 0,6 %. Autrement dit, les flux migratoires vers la France – même s’ils ont légèrement augmenté ces dernières années – restent, en proportion de la population, moins élevés que chez la plupart de nos voisins européens. Autre élément, le nombre d’étrangers en France (cumul des flux sur de nombreuses années). D’après la définition de l’Insee, qui ne retient que les personnes nées étrangères à l’étranger, nous sommes à 10 %. À l’OCDE, nous comptons toutes les personnes nées à l’étranger, donc y compris celles nées Françaises à l’étranger (les rapatriés d’Algérie ou les enfants d’expatriés), nous sommes autour de 13 %. Cela peut se comparer à 20 % en Autriche, 16 % en Allemagne, 15,4 % en Espagne, 16 % en Norvège et 20 % en Suède, sans aller jusqu’aux comparaisons avec les grands pays d’immigration : Suisse, Canada, Australie. Il y a certes des pays où ce taux se situe en dessous de celui de la France, mais comparé aux autres grands pays européens, la France n’accueille pas plus d’immigrés, voire en accueille moins.

Quelle est la part de l’immigration de travail ?

J-C.D: Ce qui caractérise l’immigration en France, c’est la part prépondérante de l’immigration familiale dans l’ensemble des flux, qui a fortement augmenté depuis la fermeture de l’immigration de travail à la fin des années 70. Aujourd’hui, il y a un rééquilibrage entre l’immigration de travail et l’immigration familiale en France. En 2021, 36 000 titres de séjour ont été délivrés pour motif économique, contre 85 000 au motif familial, donc moitié moins, alors qu’il y a cinq ou six ans, c’était moins d’un tiers. De manière générale, cette immigration familiale a un niveau d’éducation plus faible que l’immigration économique et plus faible que celui des jeunes sur le marché du travail en France. Cela dit, elle contribue aussi au marché du travail, notamment dans des secteurs peu qualifiés. Enfin, la France reçoit ces dernières années de plus en plus de demandeurs d’asile. En 2021, il y a eu environ 100 000 premières demandes d’asile et environ 40 000 personnes ont obtenu le statut de réfugié. Ils rencontrent un certain nombre de difficultés pour s’intégrer sur le marché du travail du fait des problèmes de maîtrise de la langue, de reconnaissance des qualifications, ou parce qu’ils sont logés dans des zones géographiques où il n’y a pas d’offres d’emploi. Tout cela rend leur insertion sur le marché du travail plus compliquée, comme c’est aussi le cas pour les migrants familiaux. En somme, la contribution de l’immigration au marché du travail en France est plus faible que dans les pays voisins, parce que l’immigration est plus faible qu’ailleurs et surtout, elle est davantage orientée vers les catégories de migrants qui, même s’ils souhaitent contribuer au marché du travail, ont plus de difficultés à l’intégrer.

Que font nos voisins en matière d’immigration de travail ?

J-C.D: L’Allemagne, par exemple, compte d’abord beaucoup plus d’immigration intra-européenne que la France : en 2020, 64 000 Européens sont venus en France et presque 350 000 en Allemagne où ces Européens contribuent très largement au marché du travail. L’Allemagne a par ailleurs accueilli beaucoup plus de réfugiés que la France. Elle rencontre aussi des difficultés pour intégrer cette population au marché du travail, mais a fait des investissements considérables en matière de politique d’intégration pour ce groupe. Un projet de loi est en outre annoncé pour faciliter l’installation de ceux qui sont dans le pays avec des statuts précaires, notamment des statuts dits tolérés, des personnes qui n’ont pas le droit à un titre de séjour mais qui ne sont pas expulsables. Dans le même temps, l’Allemagne a une politique très proactive pour attirer les talents qu’elle a l’intention d’ouvrir encore davantage. Enfin, le pays a vécu un débat introspectif dont la conclusion était que l’Allemagne était un pays d’immigration. Ses politiques s’ajustent donc à cette vision de la société et de l’économie. Quant aux autres pays, en Suède, par exemple, 20 % de la population est immigrée, dont principalement des réfugiés. L’Italie, elle, compte beaucoup de travailleurs non déclarés – l’immigration là aussi a un rôle clé dans l’économie –, même si elle soulève des questions politiques. Bref, dans beaucoup de pays européens, l’immigration joue un rôle important, qui est amené à le devenir encore plus.

Que fait la France en matière d’immigration de travail ?

J-C.D: Au printemps 2021 a eu lieu une réforme majeure de l’immigration de travail en France, passée inaperçue, car il s’agit d’une réforme principalement administrative. La plus emblématique des mesures est l’actualisation de la liste des métiers en tension. Cette liste avait été créée en 2008 mais n’avait pas été actualisée entre 2008 et 2021 et, par conséquent, n’avait plus vraiment de lien avec la réalité de l’économie. D’autres changements ont été faits, notamment dans le Code du travail, de même que dans l’organisation des services administratifs avec le regroupement de ce qui s’appelait avant les services de la main-d’œuvre étrangère dans des plateformes régionales, permettant d’avoir une approche bien plus homogène sur l’ensemble du territoire. Les changements de 2021 visent à accélérer les procédures, à digitaliser les applications et à permettre aux employeurs d’avoir une plus grande visibilité. Par ailleurs, pour les plus qualifiés – les investisseurs, les start-uppeurs… – il existe depuis quelque temps déjà le « passeport talents » qui a ouvert la possibilité d’obtenir des titres de manière simplifiée. Il reste, cela dit, beaucoup de difficultés, notamment pour obtenir des visas au niveau consulaire et il n’est pas non plus aisé pour les employeurs d’identifier les candidats à l’étranger pour certains postes peu qualifiés.

Auteur

  • Natasha Laporte