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Entretien : « Il faut nuancer les écarts entre secteur public et privé »

Le point sur | publié le : 21.11.2022 | N. T.

Antony Taillefait est professeur de droit public, spécialiste du droit de la fonction publique. Il a participé au projet Handicap, droit et responsabilité à l’université d’Angers (2019-2021).

Au regard de l’obligation d’emploi des travailleurs en situation de handicap, la fonction publique semble plus avancée que le secteur privé. Y a-t-il eu une progression ?

Antony Taillefait : Il y a eu une amélioration considérable depuis les trois grandes lois de 1975, 1987 et 2005. Les administrations comme les entreprises ont dû faire des efforts. Si nous regardons les chiffres fournis par le fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) de manière distante, nous observons que l’obligation d’emploi est mieux satisfaite dans le public (collectivités : 6,8 % ; hôpitaux : 5,7 % ; État : 4,6 %) que dans le privé – et de loin. Pour autant, les modes de calcul ne sont pas tout à fait identiques. Ainsi, les fonctionnaires reclassés – un enseignant qui souffre d’une fatigue professionnelle, par exemple, reclassé dans des fonctions administratives – sont considérés comme travailleurs handicapés sans avoir obtenu une reconnaissance officielle (RQTH). Aujourd’hui, entre 15 % et 18 % des effectifs de la fonction publique comptabilisés dans l’obligation d’emploi relèvent de cette catégorie. Dans le secteur privé, les reclassements ne sont pas pris en compte. Il faut donc nuancer les écarts entre les secteurs public et privé.

Les concours de la fonction publique sont-ils accessibles à tous ?

A.T: Des progrès énormes ont été faits. L’autorité administrative qui organise les concours a l’obligation de tenir compte du handicap des candidats, de leur apporter un soutien technique et humain. C’est respecté scrupuleusement, pour éviter toute annulation d’épreuve ou sanction. La loi Dussopt de transformation de la fonction publique (2019) permet, entre autres, d’étendre les aménagements aux personnes en situation de handicaps psychiques et mentaux et non plus uniquement physiques. Je prône un dispositif suffisamment inclusif pour inspirer davantage confiance et amener plus de personnes à parler du handicap qu’elles vivent au quotidien. Je pense à l’endométriose, aux maladies chroniques, etc. Ces gens-là ne veulent pas déclarer leur handicap car ils voient bien que les travailleurs reconnus handicapés au sens de la loi n’exercent pas leurs fonctions dans des conditions faciles.

Vous pensez aux discriminations ?

A.T: Les choses ne sont pas aussi franches que cela. Je vais prendre des exemples vécus. Quand vous êtes chef de bureau en situation de handicap dans une administration et que l’ascenseur est en panne, vous ne participez pas à la réunion des services… C’est assez effrayant. Ces petites choses du quotidien rongent la confiance dans la manière dont on inclut les personnes en situation de handicap. L’un des écueils est l’absence de formation du personnel d’encadrement qui souffre d’une méconnaissance de ce qu’est le handicap, de ce que les managers peuvent faire, parfois même de ce qu’ils ont l’obligation de faire. Une formation continue et périodique sur le sujet me semble indispensable.

Une personne peut-elle poursuivre l’administration si elle ne parvient pas à décrocher un emploi en raison de son handicap ?

A.T: C’est assez fréquent. Il y a un ensemble de dispositifs. Le plus utilisé est celui de la contractualisation avant titularisation mis en place en 2005. On recrute une personne en situation de handicap en contrat. Pendant un ou deux ans, elle exerce ses fonctions. Une commission apprécie ensuite si elle peut être titularisée ou pas. Les refus font l’objet de recours tout comme certains lauréats de concours qui ne sont pas titularisés. Grâce à ces recours, la jurisprudence a évolué et la législation a dû s’adapter.

Quelles améliorations faudrait-il envisager ?

A.T: Même si je suis très critique de la loi Dussopt, elle a permis des avancées, notamment sur le handicap invisible. Un plan expérimental a également été mis en place jusqu’en 2025 pour favoriser la promotion des fonctionnaires en situation de handicap, actuellement beaucoup plus faible que les autres. Un agent de catégorie B peut ainsi être promu en catégorie A s’il a eu une bonne évaluation professionnelle. Après une période de stage, une commission statue sur sa promotion. Jusqu’à présent, l’administration n’avait pas besoin de démontrer que la personne souffrant de handicap ne pouvait pas être promue. J’ajouterai un autre point à développer : la mobilité professionnelle. La loi prévoit une priorité de mutation pour les agents souffrant de handicap, mais elle s’exerce difficilement car l’administration d’accueil n’est souvent pas adaptée. De façon plus générale, il faut davantage penser ces mesures de façon structurelle, par exemple en écartant l’approche médicale du sujet.

Auteur

  • N. T.