L’enquête annuelle de L’Observatoire de l’engagement révèle qu’à l’issue de la crise sanitaire, les salariés dans leur ensemble ne sont pas moins investis dans leur travail. Certaines catégories comme les managers augmentent même leurs scores d’engagement vis-à-vis de l’entreprise, des clients et de leur équipe.
Ce think tank cofondé par deux cabinets de conseil, Osagan et Mews Partners, en partenariat avec l’université Paris-Dauphine, est né d’un constat partagé : l’engagement constitue un enjeu majeur pour toutes les entreprises, mais génère peu de littérature. L’Observatoire s’est donc donné pour objectif de comprendre les leviers d’implication des salariés, repenser les organisations du travail et les politiques de ressources humaines en s’appuyant sur une enquête annuelle et la tenue du Forum de l’engagement.
Trois ans après le début de la crise sanitaire, notre étude pointe un chiffre essentiel : 58 % des salariés se considèrent comme fortement engagés au travail et ce chiffre est demeuré stable ces trois dernières années. Cette stabilité va à l’encontre de ce que l’on entend souvent, à savoir que le désengagement se serait accentué avec la crise Covid. Une majorité de salariés trouvent du sens à leur travail, affirment leur disponibilité mentale pour s’impliquer et/ou se sentent en sécurité dans leur environnement de travail. Or ces trois éléments constituent les piliers essentiels de l’engagement. Cette stabilité générale masque cependant des évolutions contrastées si l’on prend en compte certaines des composantes de l’engagement – qui tend à augmenter vis-à-vis de l’équipe de proximité et des clients et à diminuer vis-à-vis de l’entreprise. Les salariés s’engagent donc plus facilement sur ce qui leur est proche que sur des projets corporates. Ces 58 % de salariés fortement engagés contrastent avec les 70 % qui considèrent le projet de l’entreprise porteur de sens et les plus de 80 % qui estiment avoir la disponibilité mentale pour s’engager ou qui se sentent en sécurité. Ce décalage tient au fait que la qualité du projet, la disponibilité mentale et le sentiment de sécurité dans son emploi constituent des conditions nécessaires mais pas suffisantes à l’engagement. Le salarié qui ne se sent pas reconnu par son manager, s’estime insuffisamment payé au regard de son investissement, reçoit peu ou pas de formation, évolue trop lentement, va se désengager, quand bien même les conditions nécessaires sont présentes.
C’est une des grandes révélations de notre étude. Les managers ont retrouvé du sens dans leur mission avec la crise sanitaire : plus d’écoute et de proximité avec chaque collaborateur, plus d’attention portée à l’équipe. Celle-ci devient leur « petit collectif » de travail à mesure qu’ils s’éloignent du « grand collectif » constitué par l’entreprise, plus abstrait et distant. Cela se constate surtout dans les grandes entreprises publiques et privées. Cette évolution confirme le fait que les managers ont réinvesti leur rôle avec la crise sanitaire. Ils se sont rapprochés de leur équipe et ont retrouvé de l’autonomie pour la gérer. Ils se sentent plus engagés sur l’ensemble des composantes de l’engagement, tant vis-à-vis de l’entreprise et des clients que de leur équipe.
Dans l’enquête, 25 % des salariés du secteur public se disent extrêmement engagés. Ce score élevé pour cet item tient au fait que les métiers de service public sont plus souvent porteurs de sens et ont montré leur caractère indispensable durant la crise sanitaire, notamment dans le secteur de la santé. À l’inverse, seulement 8 % des salariés du secteur privé se disent extrêmement engagés mais la structure d’emplois n’est pas la même : les métiers peu ou pas qualifiés, où l’engagement extrême se fait plus rare, pèsent davantage. Concernant l’âge, les 50-64 ans se disent aussi plus souvent extrêmement engagés.
Les employeurs y parviennent d’abord en se montrant attentifs aux conditions de travail. Il s’agit de fournir les outils, le matériel et les consignes adéquates à la bonne exécution des tâches, d’assurer un niveau de sécurité maximum et de réduire autant que possible la pénibilité. Les employeurs ont aussi intérêt à miser sur le ressort psychologique en valorisant l’utilité de ces métiers. Les managers doivent être formés à reconnaître les efforts des collaborateurs du bas de l’échelle, à leur porter attention et à les respecter. Si l’employeur actionne tous ces leviers, il peut susciter de l’engagement – quand bien même il s’agit de faire le ménage ou d’effectuer des tâches répétitives sur une ligne de production. Chacun, quel que soit son métier, a besoin de considération.
L’étude confirme que les salariés se sentent davantage engagés dans les TPE et PME que dans les grands groupes et cet écart s’est accru avec la pandémie. Les organisations à taille humaine partagent plus facilement leur projet d’entreprise et leur direction est par définition plus proche des salariés de base. Ces derniers effectuent en outre des tâches souvent plus variées que dans les grandes entreprises, car la spécialisation y est moindre. Tout cela contribue à l’engagement.
Cela tient au fait que ces deux catégories sont généralement proches des dirigeants et comprennent mieux le projet. Or comme on l’a vu, le sens constitue l’un des piliers de l’engagement. De plus en plus d’actifs changent d’ailleurs d’entreprise ou de métier pour ce motif. Les employeurs ont donc tout intérêt à embarquer les collaborateurs dans leur projet, à en faire quelque chose de concret, d’utile et qui répond aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux. La performance économique pure et un bon salaire ne suffisent plus.
Il faut distinguer les tendances lourdes de long terme du court terme que reflète notre sondage. Nous savons, au travers d’études, que les Français accordent au travail une place moins centrale qu’il y a trente ans : 24 % en 2022 estiment que le travail occupe une place très importante dans leur vie, contre 60 % en 1990, selon une étude de la Fondation Jean-Jaurès. Mais sur le court terme, notre sondage montre que l’importance du travail a légèrement augmenté depuis 2020. La crise sanitaire a sans doute fait prendre conscience aux salariés que le travail procurait un sentiment d’utilité et de la sociabilité. Ils ont alors pu éprouver un manque qui les a amenés à revaloriser récemment le travail. Ce que confirme le fait que la part des sondés qui prennent plus de plaisir qu’avant à retrouver leurs collègues augmente, notamment chez les moins de 35 ans et les managers.
Parmi les 58 % des salariés qui se considèrent fortement engagés dans leur travail, 81 % se sentent en sécurité. À l’inverse, parmi les 9 % qui se disent désengagés, seulement 49 % se sentent en sécurité. On s’engage évidemment davantage quand on sait que son poste ou son entreprise ne sont pas menacés de disparition et qu’on ne met pas en danger sa santé en exerçant son métier.
Les managers expriment davantage leurs attentes personnelles, probablement parce qu’ils accèdent aisément à leur direction ou à un service RH. Dans les TPE-PME-ETI, les salariés s’expriment aussi plus facilement que dans les grands groupes. C’est aussi affaire de génération : les 25-34 ans considèrent qu’il est légitime de communiquer sur leurs attentes concernant la charge de travail, les horaires, leur parcours professionnel. À l’inverse, les fonctionnaires qui se savent soumis à des règles rigides hésitent à exprimer des attentes individuelles.
D’une part, l’engagement est traité de façon plus large et avec plus de cohérence. Dans un souci de symétrie des attentions, les employeurs portent autant d’attention à la satisfaction de leurs clients qu’à celle de leurs salariés, conscients qu’ils sont d’une porosité entre leur image commerciale, employeur et financière. D’autre part, ils prennent conscience que l’engagement durable au travail se développe en actionnant les bons leviers. Pour y parvenir, il faut écouter les salariés, être attentif à leurs attentes qui varient en fonction des profils présents dans l’entreprise (âge, ancienneté, qualification…), des métiers et du bassin d’emploi.
Après avoir exercé durant vingt ans des fonctions de DRH et de directrice de la communication dans les services et l’industrie, Fabienne Simon a fondé en 2012 Osagan, un cabinet de conseil en management, organisation et politique RH, qui développe une expertise sur la marque employeur et le design des expériences salariés. En parallèle, elle a cofondé l’Observatoire de l’engagement qu’elle anime depuis 2014. Elle enseigne également à l’université Paris-Dauphine et à l’ESCP sur ces thématiques.