Malgré les efforts du BTP pour promouvoir les métiers, nombre d’entreprises du secteur ont encore du mal à séduire.
Des anecdotes sur les commentaires de certains jeunes lors d’une prise de contact, Éric Spielmann, directeur des ressources humaines et de la communication de GCC (Génie Civil Construction), en a plein. Certains n’hésitent pas à lui dire que la vente de drogue ou même le ramassage des pièces de monnaie laissées dans les chariots de supermarché vont davantage leur rapporter qu’un job dans le BTP… « Mais je leur fais d’abord remarquer que le bâtiment est un business légal, et, mieux que cela, qu’ils peuvent voir le résultat de leur travail, sous forme de stades, de piscines, d’immeubles de bureaux, et en être fiers, et enfin, qu’ils peuvent se construire une vraie carrière dans le secteur », dit-il. Le BTP s’est toujours, de par la nature de ses métiers – physiques, peu qualifiés –, appuyé sur une main-d’œuvre d’origine sociale et ethnique diversifiée. Mais aujourd’hui, le secteur a du mal à recruter. Et les campagnes de la Fédération française du bâtiment pour faire connaître les métiers peinent encore à convaincre. En conséquence, depuis un an, GCC, qui emploie 2 650 personnes et affichera un chiffre d’affaires de plus d’un milliard d’euros cette année, refuse, comme d’autres entreprises, des contrats, de peur, faute de bras, de se trouver en défaut de livraison. Le groupe recherche actuellement une centaine de personnes pour son pôle construction et plus d’une soixantaine pour son pôle énergie. À partir de 2023, GCC mettra l’accent sur la formation en interne. Mais cela ne suffit pas.
Bien sûr, « nous soutenons nos salariés étrangers en poste lorsqu’ils doivent faire renouveler leur permis de séjour. À cet égard, les efforts vis-à-vis des préfectures ou les sommes à payer pour les permis ne sont rien, comparés à ce que peut nous coûter un cabinet de chasseurs de têtes. Car nous en utilisons désormais pour dénicher certains techniciens. Et nous avons aussi réfléchi à former sur place, en Afrique subsaharienne, notamment, des professionnels qui viendraient ensuite nous rejoindre », poursuit le DRH. S’il aide à la régularisation de certains – « en jouant de nos relations », dit-il – et soutient le combat de la CGT pour les droits des travailleurs migrants, il est un état de fait qui le chagrine plus que d’autres. « C’est le taux de chômage élevé dans les banlieues. Les jeunes y sont trop souvent en échec scolaire. La France est elle aussi en échec sur ce sujet », dit-il. Selon l’Insee, le taux de chômage des hommes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, lieux d’habitation de nombre de personnes de la première, deuxième et troisième générations de migrants et de Français pauvres, se situait, en 2021, à 18,1 %, contre 8 % pour les hommes en général dans l’Hexagone. Les jeunes et les peu diplômés y sont particulièrement entravés dans leur accès au monde du travail.
Pour faire avancer les choses, certaines entreprises, dont GCC, se rapprochent des missions locales, des associations, des organismes de formation, en particulier les spécialistes de l’insertion. En outre, dans le cadre d’un Geiq, un collectif d’entreprises qui parient sur le potentiel de personnes en difficulté d’accès à l’emploi pour résoudre leurs problèmes structurels de recrutement en organisant des parcours d’insertion et de qualification, le secteur, y compris GCC, tente d’en faire entrer en formation, un peu partout en France. Mais cela ne suffit pas non plus.
« C’est l’image des métiers de la construction qu’il faut changer – très physiques, surtout au bas de l’échelle, et même parfois dangereux », ajoute Éric Spielmann. En fait, selon lui, les conditions de travail ont largement évolué. Et le secteur a pris des initiatives pour faire en sorte que la pénibilité soit moindre, en limitant le poids des sacs de ciment à transporter, par exemple, en mécanisant et en explorant des techniques innovantes à base d’exosquelettes.
Chez GCC, le DRH soigne aussi le management. « Le BTP, c’est avant tout une équipe et de la solidarité », assure-t-il. Non seulement il s’efforce, outre des salaires qu’il juge attrayants, de proposer des parcours professionnels pour une évolution de carrière, « y compris à des non-diplômés », dit-il, mais en plus, il a fait former les managers et les chefs de chantier à la bienveillance et à la transparence, pour qu’ils puissent « obtenir de la performance avec du respect », dans un monde réputé brutal – ou, comme préfère dire Éric Spielmann, « un monde où les gens ont de la personnalité ». Il s’agit, en somme, de bâtir la confiance…