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Le variable se fixe dans le paysage

Tendances | publié le : 31.10.2022 | Natasha Laporte et Lys Zohin

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Rémunérations : Le variable se fixe dans le paysage

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Bonus, primes exceptionnelles, intéressement… la rémunération au-delà du salaire de base touche désormais des postes de plus en plus variés. Les employeurs y voient une façon de récompenser la performance, individuelle et collective, des collaborateurs, doublée d’une incitation, mais aussi, dans un marché de l’emploi dynamique, un moyen d’attirer et de fidéliser les talents. À condition, toutefois, d’opter pour des dispositifs clairs –  et cohérents avec la stratégie et la culture de l’entreprise.

Peut-on tout quantifier ? Certes, du temps où la part variable de la rémunération était versée en fonction d’un objectif atteint – le nombre de produits vendus, par exemple, pour les commerciaux, les choses étaient faciles. Mais « depuis trois ou quatre ans, le variable s’étend à de plus en plus de fonctions », relève Fabien Lucron, directeur développement de Primeum, un cabinet de conseil en rémunération variable. Ce qui signifie donc que l’on doit pouvoir quantifier bien au-delà du simple placement de produits… « Il y a nombre de façons de quantifier le travail de chacun, pour un spécialiste du marketing, ce sera par exemple le nombre de leads, soit les contacts engrangés par le collaborateur concernant des clients potentiels, poursuit ce spécialiste. Et si la quantité s’avère peu pertinente, la qualité peut l’être et l’on peut demander ainsi aux clients s’ils sont satisfaits du service rendu. » Sans oublier qu’il est possible de noter si des erreurs ont eu lieu sur la chaîne de fabrication d’un produit ou, pis, si un autre a dû être rappelé… Autant dire que nombre d’activités quotidiennes au travail peuvent faire l’objet d’une évaluation objective extérieure. Et permettre ainsi de récompenser la performance. « D’ailleurs, je préfère la notion de performance à celle de productivité », dit-il.

Favoriser l’engagement

Mais au-delà de la seule performance, sur fond de marché du travail en forte reprise, les employeurs viennent également chercher autre chose avec un variable. « Aujourd’hui, les entreprises s’interrogent sur la manière de rester attrayantes et d’avoir une offre employeur qui fidélise les collaborateurs, dans un contexte où le taux de turn-over est élevé », explique ainsi Chrystelle Thirion, directrice conseil RH au sein du groupe de conseil Diot-Siaci. C’est d’autant plus vrai pour certaines catégories particulièrement recherchées. Exemple, les managers. « Avec la crise Covid et le changement des modèles managériaux, puisqu’il s’agit désormais de gérer des équipes en mode hybride, présentiel comme distanciel, il est devenu plus complexe de donner du sens et un esprit d’équipe, faisant que les managers sont très sollicités et très “chassés” », abonde Cyrille Meunier, associé du cabinet de conseil MCR. D’où « une volonté de les valoriser et les retenir en réfléchissant à des packages de rémunération différée, incluant des variables à long terme », poursuit-il. Autre fonction particulièrement courtisée par les chasseurs de têtes : les commerciaux. Pour cette population, « il y a aujourd’hui un vrai enjeu : il faut répondre à leurs attentes et la rémunération en est un élément important », ajoute ce spécialiste. Néanmoins, l’inflation galopante et un marché du travail très actif « poussent à développer la part fixe plutôt que la part variable pour cette profession », nuance ce spécialiste. Le système avec un petit fixe et une grande partie du variable en commissionnement aurait ainsi tendance à laisser la place à un système, plus large, de primes sur objectifs.

Toujours est-il que « pour fidéliser les meilleurs potentiels, les entreprises se doivent d’avoir des réponses sur le salaire fixe mais aussi de proposer des variables attractifs et surtout engageants », martèle Cyrille Meunier. Ce qui nécessite parfois de revisiter les systèmes de rémunération variable, mis en place de longue date. « Un système de variable est souvent construit en fonction des populations auxquelles l’on donne des objectifs », poursuit-il. Or aujourd’hui, les entreprises ont intérêt à être agiles. « Et en cas de changement de stratégie, ce système peut devenir bloquant et rigidifiant… », estime ce spécialiste, qui préconise donc de davantage lier le dispositif à la stratégie. De même, « développer les leviers collectifs de la rémunération, comme l’intéressement ou la participation, semble être une bonne réponse dans un environnement instable et face aux attentes en termes de pouvoir d’achat, d’autant que ces systèmes sont optimisés en matière de charges sociales et de fiscalité », précise-t-il. Et de fait, l’intérêt pour l’intéressement est aussi au rendez-vous dans nombre d’entreprises (voir statistiques p. 5).

Dans tous les cas, pour qu’un variable fonctionne, la clarté et la cohérence sont obligatoires. « La clarté, parce qu’il faut que le système soit lisible et que les collaborateurs comprennent le sens donné par la direction, indique Chrystelle Thirion. Et la cohérence, parce qu’il faut que le système de variable, de prime sur objectifs ou de bonus, soit cohérent non seulement avec les objectifs de performance de l’entreprise, mais aussi avec la culture d’entreprise. » Ainsi, « nous avons récemment accompagné une entreprise dont la particularité est qu’il n’y existe aucun système de variable ni aucune prime, et ce, pour des raisons historiques. La direction a réaffirmé son souhait de ne pas mettre en place de système de rémunération sur objectifs parce que cela ne correspond pas à la culture et la manière de fonctionner », développe-t-elle.

Gare aussi à des effets qui pourraient s’avérer contre-productifs. « Certains variables peuvent avoir des effets non prévus, notamment celui d’encourager les mauvaises performances », prévient Chrystelle Thirion. Elle donne l’exemple d’objectifs, tels que l’acquisition de nouveaux clients. S’ils prennent le pas sur la fidélisation de ceux qui sont déjà en place, « alors qu’on sait que garder un client peut être plus rentable que d’en ajouter un nouveau, attention ! », dit-elle… Autre exemple avancé par cette spécialiste : « Lorsqu’un collaborateur aura atteint le budget qui lui a été fixé, s’il n’y a pas d’éléments incitatifs au-delà, il n’ira pas forcément chercher du business en plus. » De quoi inciter certaines entreprises à mettre en place des critères de surperformance pour éviter ce travers. Enfin, autre effet contreproductif possible, que met en avant Fabien Lucron, du cabinet Primeum : « Celui d’une chaîne de distribution de produits de beauté. Un bonus individuel inciterait chaque vendeuse à se précipiter sur les clients… au risque de les faire fuir. Mieux vaut un système centré sur la performance du magasin », dit-il.

Le variable ne fait pas tout

Et bien sûr, la réussite d’un système de variable dépend aussi de la manière dont il est mis en œuvre par les managers. « Le variable va envoyer un message. Il est important que le variable aille dans le même sens que ce que le manager veut dire et veut accomplir. S’il y a un décalage, c’est problématique… », insiste Chrystelle Thirion, qui rappelle par ailleurs que « ce sont d’abord les qualités de management qui facilitent une performance supérieure. » Reste, enfin, que le variable ne fait pas tout. « Dans les attentes actuelles des collaborateurs, le sujet du variable garde sa place, certes, mais le temps et les conditions de travail ou l’accès au télétravail sont importants aussi », précise-t-elle. En outre, la motivation intrinsèque, l’intérêt du travail et le sens qu’on donne à ses missions sont autant d’éléments susceptibles de motiver les collaborateurs.

Il n’en reste pas moins que face au renchérissement du coût de la vie, le variable a toute sa place, au sens où il représente un coup de pouce par rapport au salaire fixe. Et il présente un autre avantage… « Par définition, le variable n’est pas une dépense fixe, à inclure dans la masse salariale, relève ainsi Nicolas Marques, directeur général de l’Institut Molinari, un think tank libéral basé à Paris, Bruxelles et Montréal. Et en cette période de peu de visibilité en matière d’évolution économique, cette solution, pour améliorer le pouvoir d’achat, est logiquement privilégiée. »

Mais est-ce que cela sera suffisant ? Si, face à la crise énergétique et l’inflation qui font grimper en flèche les coûts d’exploitation dans certains secteurs, les entreprises sont tentées de jouer la carte du variable pour ne pas mettre la rentabilité sous pression, « elles se voient de plus en plus confrontées à des revendications salariales portant essentiellement sur le fixe », conclut Cyrille Meunier, du cabinet MCR. « Et cela vaut particulièrement pour les bas salaires, qu’il va bien falloir augmenter », renchérit Fabien Lucron. De quoi crisper les prochaines négociations obligatoires en entreprise…

Auteur

  • Natasha Laporte et Lys Zohin