Depuis 2020, le groupe Saur, producteur et distributeur d’eau, recrute à tout va. Mais la période est difficile. À l’écoute des remontées de ses collaborateurs, l’entreprise a choisi de s’affranchir de la période d’essai pour favoriser le recrutement sur un marché tendu.
Sur le site du ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, l’objectif de la période d’essai est clairement défini : « Elle permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment en fonction de son expérience. Elle permet également au salarié de déterminer si les fonctions occupées lui conviennent. » Saur, producteur et distributeur d’eau qui emploie 12 000 collaborateurs dont 8 000 en France, a pourtant décidé de s’en affranchir…
« L’événement déclencheur a été la période Covid, extrêmement difficile pour les jeunes entrants sur le marché du travail, explique Xavier Savigny, directeur des ressources humaines, de l’organisation et de la transformation chez Saur. Nous avions décidé de maintenir le nombre d’apprentis reçus pendant la pandémie et nous voulions nous assurer que les jeunes intégreraient ensuite l’entreprise. Or certains éprouvaient des difficultés à se loger et, par conséquent, à habiter à proximité de leur lieu de travail. Les propriétaires sont plutôt frileux à l’idée de louer un logement à une personne en période d’essai, d’autant plus si elle est jeune et sans garant. Quid du paiement du loyer si le locataire se retrouve sans travail ? ». En somme, sans période d’essai, ces jeunes pourraient louer plus facilement, se dit-il. L’idée a d’abord été lancée sous forme de boutade au sein des RH. Puis elle a fait son chemin…
Le DRH a en effet ouvert le Code du travail et vérifié auprès du juriste de l’entreprise qu’aucune disposition n’empêchait de supprimer la période d’essai. Dont acte. Xavier Savigny en parle au PDG qui se penche sur le sujet. À l’écoute des problématiques RH, ce dernier est d’accord, à condition d’y aller « en douceur »…
Proposition est faite au comité de direction d’expérimenter la mesure pendant trois ou quatre mois et d’en tirer un bilan. « Il a tout de même fallu convaincre les autres membres du comité de direction, précise le DRH. Même si l’accord du PDG a aidé à les faire céder, nous avons dû argumenter, en mettant en avant l’avantage compétitif que pouvait représenter la fin de la période d’essai dans le processus de recrutement. »
L’ancienneté moyenne dans le groupe s’élève à 17 ans. Les bases de l’attachement des salariés à leur employeur étaient présentes. Ne plus avoir recours à la période d’essai allait-il renforcer cet attachement ou changer la donne ? « Pour que cette mesure fonctionne, il faut être sûr de recruter la bonne personne », prévient Xavier Savigny. Pour ne pas se tromper, « l’expression du besoin de recrutement » a d’abord été créée au sein du groupe.
De même, la relation entre manager et recruteur a été revue : encore plus qu’auparavant, les RH ont besoin de connaître de façon très détaillée les besoins des managers, les enjeux des services, la constitution des équipes…
En outre, les managers ont été rassurés. « Les RH seront toujours là, a garanti le directeur des ressources humaines, de l’organisation et de la transformation. En cas de problème [si la personne recrutée ne convient pas], nous trouverons des solutions », leur a-t-il dit. Le bilan à l’issue des trois mois de test lui a donné raison : sur les 1 700 personnes recrutées en 2021, aucun départ n’a été à déplorer. Et seuls deux candidats ont demandé à maintenir une période d’essai. « Si vous doutez, vous ne devriez peut-être pas postuler chez nous », leur a déclaré Xavier Savigny. « Lors des entretiens, nous présentons la réalité de l’entreprise, autrement dit, ce qui marche bien et ce qui marche moins bien. Nous attendons la même chose de la part du candidat. Comme cela, il n’y a pas de surprise. La notion d’engagement mutuelle est forte. Et elle doit l’être des deux côtés », conclut-il.
Le retour extrêmement positif des candidats a aussi incité la direction à maintenir la mesure. Les nouvelles recrues ont ainsi particulièrement apprécié la confiance qui leur était accordée. « Un jeune cadre commercial est venu me voir, son contrat à la main, en s’excusant et en me disant que j’avais omis de mentionner la période d’essai. Je n’oublierai pas de si tôt son sourire, quand il a su qu’il n’y en avait pas ! », se souvient le DRH. Désormais, chez le distributeur d’eau, la fin de la période d’essai est valable pour tous : cadres (y compris les dirigeants) comme ouvriers…