Bien sûr, les employeurs respectent la réglementation. Mais elle ne fait pas tout. Et certaines entreprises desserrent des contraintes qui ne sont en fait que des habitudes. Surtout si elles ont des problèmes de recrutement ou de rétention…
Pourquoi faudrait-il que soit absolument incluse une clause d’exclusivité ou même une période d’essai dans un contrat de travail ? Et pourquoi, au lieu d’attribuer un bonus selon une multitude de critères, ne pas l’inclure directement dans le salaire ? Sans oublier que l’employeur peut aussi, s’il le souhaite, renoncer complètement à sa mainmise partielle sur la prise des jours de congé et même sur leur nombre, et permettre à chaque salarié de définir ainsi les modalités de son repos… De fait, « le droit français est paradoxalement à la fois très dense et assez peu formaliste : le Code du travail n’exige d’ailleurs pas de contrat de travail papier, tandis que le Code civil – via par exemple son obligation de loyauté – contient déjà à lui seul l’essentiel des outils nécessaires à la protection des données sensibles et à la prévention et la sanction des actes de concurrence déloyale », relève Jilali Maazouz, avocat à la Cour et associé au cabinet McDermott, où il est responsable du département droit social. Il n’empêche… Alors qu’ils ont une « très grande liberté d’action », assure-t-il, les services RH qui mettent en place les contrats pour les salariés ont tendance à reproduire, encore et toujours, parfois sous la forme d’un hâtif « copié-collé », ce qui s’est déjà fait…
À moins qu’il y ait une tension sur le recrutement, comme le montre l’un des exemples mis en avant dans ces pages. Ainsi, face aux difficultés que rencontrent de jeunes recrues pour trouver un logement à louer, le producteur et distributeur d’eau Saur a décidé de ne plus imposer de période d’essai, afin de leur faciliter la tâche et de les garder (lire p. 6). À moins, aussi, que l’employeur, et c’est le cas de Shine, notre autre exemple (lire p. 7), décide de privilégier une plus grande liberté des salariés pour une meilleure rétention. Pour ce faire, la banque a éliminé la clause d’exclusivité et offre une journée de freelancing par mois à ses salariés.
« Cette créativité contractuelle des RH, qui doit naturellement être encadrée par un juriste afin de ne pas faire courir de risques à l’employeur, est en général directement suscitée par un besoin impérieux, poursuit l’avocat spécialisé. Et lorsque ce n’est pas le cas, cette créativité peut s’avérer contre-productive, voire dangereuse. » Ainsi, l’abandon de la période d’essai pourrait être mal compris dans des milieux sociaux ou géographiques habitués à ce genre de système. On pense à une petite usine, en région, qui emploierait plusieurs membres de la même famille au fil des générations, par exemple. D’ailleurs, certains candidats, chez Saur, se sont inquiétés de l’absence de période d’essai, remarque Xavier Savigny, le DRH. Enfin, tempère également Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, le secrétaire général de la CPME, « si nombre d’entreprises doivent effectivement se “vendre” aujourd’hui auprès des candidats, ces innovations ne peuvent se vivre qu’au cas par cas. Et c’est la même chose pour la semaine de 4 jours avec 32 heures payées 35, par exemple. Tout dépend de l’organisation. »
Toujours est-il qu’en cette période de pénurie de main-d’œuvre, de questionnement sur la fidélité à l’entreprise, voire sur le sens du travail, accroître l’attractivité de l’employeur ne peut être qu’une bonne idée pour les responsables RH. Jilali Maazouz les incite en tout cas à eux aussi se questionner et remettre en cause leurs habitudes et leurs modèles. D’autant qu’il faut, selon lui, partir du principe – statistiquement établi – que les salariés ou futurs salariés sont bien intentionnés… Ainsi, « seuls quelques profils bien spécifiques peuvent justifier une clause de non-concurrence. Dans la grande majorité des cas, elle ne sert à rien. D’ailleurs, il n’y a que très peu de contentieux. Non seulement cette clause est très souvent dénoncée à la fin d’un contrat, mais en plus, les talents ont forcément été recrutés dans des entreprises concurrentes – et ils y retourneront… En fait, le premier message que porte l’insertion d’une telle clause dans le contrat, c’est le manque de confiance de l’entreprise envers son salarié et sa vision conflictuelle, voire contentieuse, de la relation de travail », assure-t-il.
Il en veut pour preuve une autre pratique, la suppression des bonus et son intégration d’emblée dans le fixe, qu’il a constatée chez certains de ses clients et en particulier des start-up. Si cette initiative va à l’encontre de ce qui se produit de plus en plus actuellement, ne serait-ce qu’en raison de la crise sur le pouvoir d’achat, elle indique en tout cas que si le bonus est non seulement garanti, mais alloué d’emblée par son intégration dans le salaire base, l’employeur a confiance dans le collaborateur : celui-ci n’a plus qu’à se montrer à la hauteur de cette confiance et, par sa performance, donner raison à l’employeur et justifier l’allocation anticipée du bonus. Et c’est de fait ce qui se passe dans la majorité des cas ! Une façon, aussi, d’éliminer l’habituelle tourmente liée à l’incertitude attachée au bonus qui se dénoue traditionnellement à la fin de l’année pour le salarié.
L’avantage majeur de cet éventuel toilettage des contrats de travail type, c’est donc de les décharger d’éléments négatifs, pour les doter, au contraire, de messages positifs envers les salariés. Bref, que ce soit pour des raisons d’attractivité, de rétention ou de qualité de vie au travail, avec de nombreux avantages en matière de conciliation vie professionnelle/vie personnelle, de crèches, d’accès au sport, les initiatives de mieux-disant social et d’allégement des contrats de travail, pour éparses qu’elles soient, ont tout bon…
Reste qu’elles interrogent aussi sur une autre réalité du monde du travail. Car elles viennent rarement de la base ou des représentants du personnel, « et peuvent même passer pour une attitude “paternaliste” de la part de l’entreprise », relève encore l’expert en droit social. Ce qui laisse penser que le dialogue social, qui aurait dû accoucher de ces innovations, ne joue pas son rôle… « Cette créativité et ces idées sont essentiellement le fait du management et prennent très souvent forme hors du champ de la négociation salariale, constate ainsi Jilali Maazouz. Il reste donc encore toute une éducation à faire en matière de négociation collective, de formation des représentants des salariés et des délégués syndicaux. » Jean-Eudes du Mesnil du Buisson ne dit pas autre chose. « Il s’agit de se mettre autour d’une table pour discuter de ce qui est possible, en fonction de la situation de l’entreprise. Au-delà de la créativité des RH, il faut aussi du dialogue social », assure-t-il. Et si le législateur revisitait le Code du travail pour l’alléger ? « Les PME n’ont pas besoin de nouvelles contraintes ! », tranche le secrétaire général de la CPME.