La banque en ligne a éliminé la clause d’exclusivité de ses contrats de travail. Les collaborateurs, qui peuvent aussi faire du bénévolat, lui en sont reconnaissants.
Prof de yoga, traiteur, photographe… Parmi les 200 salariés de la néobanque Shine, lancée en 2017 et dans le giron de la Société générale depuis 2020, 30 % exercent, à titre bénévole ou non, une autre activité à côté de leurs tâches – le tout avec la bénédiction de l’employeur. « Nous offrons des comptes bancaires professionnels aux entreprises et aux indépendants, et il nous a paru intéressant que nos salariés, qui en bénéficient également, se mettent dans la peau de nos clients », indique Mathilde Callède, la DRH de Shine, pour expliquer la genèse de l’opération freelancing et bénévolat. L’entreprise a consulté un spécialiste du droit du travail, pour voir comment la sacro-sainte clause d’exclusivité pouvait être effacée des contrats. Sans difficulté, en fait. « Mais nous avons gardé la clause de loyauté », précise-t-elle. Pas question en effet d’aller travailler pour un concurrent pendant le jour de congé mensuel – offert par l’employeur et rémunéré. « Et nous y avons inclus le bénévolat, pour être sûrs que le plus grand nombre de salariés puissent y avoir accès », ajoute-t-elle.
Concrètement, une fois par mois, si un salarié veut utiliser son jour de freelancing ou de bénévolat, il doit le déclarer à sa hiérarchie et fournir un justificatif : un ordre de mission de la part d’une association à qui il viendra en aide, un contrat de travail freelance d’une entreprise, une description du projet personnel sur lequel il ou elle travaille, un numéro d’enregistrement s’il s’agit d’une activité professionnelle de type professeur de yoga, etc. « Nous travaillons sur la confiance, mais un tel justificatif nous a quand même paru important, et les salariés le donnent sans difficulté », poursuit la DRH. En tout cas, elle en est convaincue, « l’idée qu’un salarié dévoué corps et âme à son travail est plus performant est fausse, assure-t-elle. On ne peut pas emprisonner les collaborateurs. Si nous interdisons les activités annexes, ils les mèneront quand même… »
Depuis la mise en place de ce jour de freelancing ou de bénévolat, en février 2019, les salariés plébiscitent l’initiative. Parmi les divers avantages que propose la société – télétravail et transparence de la grille de salaires, mesures pour les futurs parents afin de gagner en flexibilité et améliorer leur équilibre entre vie personnelle et professionnelle et congé second parent, entre autres –, l’idée de pouvoir se consacrer à autre chose une fois par mois séduit 98 % des salariés interrogés. L’une d’entre eux, opératrice bancaire, utilise son jour de freelance pour fabriquer des violons chez un luthier. Certains donnent des cours à l’université, sont photographe ou prof de yoga, et un traiteur en profite pour préparer des petits fours… « Nous en avons même trois qui ont travaillé pendant leurs jours de freelance à la création d’une entreprise de cartes cadeaux (avec lesquelles les bénéficiaires peuvent reverser de l’argent à des associations), et ont finalement quitté Shine pour voler de leurs propres ailes », indique Mathilde Callède. Est-elle déçue de ces départs ? Non ! « Nous sommes fiers de leur réussite, qui n’aurait peut-être pas eu lieu sans Shine : ils ont pu travailler à leur projet sans prendre de risques financiers puisqu’ils étaient chez nous », dit-elle. Si nombre d’entreprises doivent actuellement faire face à un fort turn-over, la DRH estime que ceux qui veulent partir le font de toute façon, et qu’au contraire, la confiance mise dans les salariés de cette façon renforce leur fidélité et limite les départs. Mieux, certains rejoignent l’entreprise du fait de cet avantage dans leur contrat de travail.
C’est le cas d’Antoine Msika, responsable de la transition écologique pour Shine. « J’avais quitté une entreprise pour me consacrer au développement de podcasts spécialisés sur les vignerons, raconte-t-il, et si j’avais eu une offre de CDI dans une autre entreprise que Shine, plus contrainte, j’aurais hésité. Si je suis allé chez Shine, c’est en grande partie en raison de cet avantage. » Depuis mai 2019 et sa prise de fonction, il parcourt les vignobles français à la recherche de belles histoires à raconter. Et depuis quelques mois, il a même des clients, prêts à payer pour être mis en avant dans les podcasts. « Je ne pensais pas que cette activité serait un jour rémunératrice, mais cela commence à être le cas », se félicite-t-il. Mais pas question, pour autant, d’abandonner son salaire fixe chez Shine…