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Taylor n’est pas mort bienvenue dans le monde de la revolution digitale !

Chroniques | publié le : 23.10.2022 |

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Taylor n’est pas mort bienvenue dans le monde de la revolution digitale !

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Par Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris

Depuis plus de dix ans, les discours sur la révolution digitale ont été largement dominés par une surreprésentation des conséquences positives de l’introduction des nouvelles technologies, y compris récemment celle du metaverse1, qui favoriseraient notamment l’autonomie et la coopération dans les entreprises. Mais cette vision optimiste doit être nuancée par une autre conception, qui montre que les technologies ne sont jamais neutres et qu’elles doivent être appréhendées dans un environnement social, ici l’entreprise, où elles sont mises en œuvre, comme le défendaient, il y a déjà plusieurs décennies, les théoriciens de l’école sociotechnique2.

Or c’est précisément dans cette dernière perspective que l’on doit comprendre l’une des faces cachées de la révolution digitale, à savoir le risque de développement d’une nouvelle forme de taylorisme ou « néo-taylorisme digital », comme le soulignait avec force en 2015 un article du Nouvel Économiste3 : les technologies digitales sont en effet susceptibles d’étendre la division du travail, chère au modèle taylorien fondé sur la division entre la conception et l’exécution du travail, à un nombre beaucoup plus large d’emplois – depuis les salariés galériens des plateformes jusqu’aux radiologues qui voient leur expertise dans le diagnostic potentiellement supplantée par des solutions utilisant l’intelligence artificielle, même si ce n’est pas demain qu’ils seront remplacés par la machine.4

Face à cette vague montante du taylorisme digital que nous vivons nous-mêmes au quotidien lorsque nous faisons totalement confiance aux applications Waze ou Google Maps pour éviter des bouchons routiers, les entreprises, et les DRH en particulier, se doivent de réagir pour éviter que les technologies digitales ne transforment leurs collaborateurs en simples exécutants d’un travail conçu et organisé par la machine !

Plusieurs pistes sont possibles pour éviter de telles dérives et replacer véritablement l’être humain au cœur du digital.

La première piste est de repenser l’organisation du travail, en coconstruisant avec les personnes concernées les contenus de leurs missions et les processus utilisant les technologies digitales, tout en respectant les savoir-faire et surtout les savoir-être, car un facteur de différenciation pour les entreprises sera de plus en plus « l’expérience », aussi bien client que collaborateur, fondée principalement sur la relation humaine5.

La deuxième piste est de revoir profondément la philosophie traditionnelle de management, en profitant des opportunités réelles offertes par la révolution digitale pour le renforcement de la confiance et de la transparence et non l’inverse. Les jeunes générations de collaborateurs, la plupart plus « digitaux » que leurs aînés, exigent la fin du management « command and control » en attendant plus d’écoute, de respect et de reconnaissance, comme on l’a vu lors de la pandémie.

La troisième piste est de promouvoir des démarches pragmatiques de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, par rapport aux évolutions des métiers qui seront impactés, à des degrés divers, par la transformation digitale. Selon les études, 10 % à 50 % des emplois sont susceptibles d’être profondément affectés d’ici à 2030 par le digital.

En définitive, les DRH sont les premiers concernés pour imaginer, avec les managers opérationnels, l’entreprise de demain, utilisant des technologies digitales de plus en plus sophistiquées, mais qui devrait faire la part belle à un modèle d’organisation fondé sur l’autonomie et la responsabilisation des personnes, aux antipodes d’un modèle taylorien. Il s’agit, entre autres, de redonner aux collaborateurs un vrai pouvoir de conception de leur travail pour répondre aux attentes de clients toujours plus exigeants.

(1) Foache. S. &Besseyre des Horts, CH. « Le metaverse : une révolution silencieuse pour l’entreprise et les RH, mais pas sans enjeux ! », Entreprise & Carrières, n° 1581, du 20 au 26 juin 2022, p. 22.

(2) Plane, JM. : Théorie des organisations, Dunod, Coll Les Topos, 5e Ed, 2017

(5) Rebours, C. : L’expérience, le nouveau moteur de l’entreprise, Diateino, 2016.