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Tendances

« Les entreprises considèrent les accords de branche comme un socle »

Tendances | publié le : 17.10.2022 | Olivier Hielle

Dans une étude de 2021 qu’elles ont coordonnée1, les deux chercheuses à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) ont pris en compte l’ensemble des dernières réformes et leur impact en matière de dialogue social sur quatre branches majeures du tissu économique français : le bâtiment et les travaux publics, la propreté, le commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire et les bureaux d’études.

La loi a offert la possibilité, pour les accords d’entreprise, de déroger aux accords de branche. Les syndicats y étaient opposés. Qu’avez-vous constaté concrètement ?

Noélie Delahaie : Il n’y a pas eu de bouleversement au niveau des entreprises, en particulier au niveau des accords dérogatoires. Le manque de recours à ces accords s’explique par la culture, la faible tradition de dialogue social. Il y a aussi un manque d’appropriation de la part des employeurs de ces dispositifs, car ils ne maîtrisent pas les risques juridiques qui y sont associés. Il y a enfin une logique de bon sens : là où le climat social est bon, il n’y a pas de raison de changer. Au contraire, quand le climat social est moins bon, les employeurs restent prudents sur les effets que la dérogation peut produire.

Anne Fretel : Dans notre enquête, le patronat n’était pas favorable à la dérogation aux accords de branche. Depuis plusieurs années, le législateur est dans l’idée que les accords de branche sont quelque chose de bloquant. Mais on a vu dans notre étude que les entreprises, au contraire, les considèrent comme un socle de base. Elles se rendent compte aussi que les salariés sont attachés à la convention collective. De plus, pour déroger, cela suppose qu’il y ait du donnant-donnant et du temps pour négocier sur une multiplicité de sujets. Or en France, l’organisation des négociations se fait surtout par thématiques. Les négociations d’ensemble nécessitent une véritable culture de dialogue social.

L’idée forte des dernières réformes était, semble-t-il, de relancer les négociations au sein des entreprises…

A. F. : Il y a d’une part la vision du législateur et d’autre part la vie économique d’une entreprise et de son secteur d’activité. Ces éléments de dynamique de secteur priment sur le cadre juridique. De plus, quasiment tous les deux ans, il y a un nouveau texte. Les entreprises préfèrent attendre de voir ce que les nouvelles réglementations produisent avant de les prendre en main.

N. D. : Sur la période et les branches que nous avons étudiées, nous avons constaté qu’il n’y avait pas de changement majeur en matière de négociation. Dans les entreprises où les négociations avaient déjà lieu, les partenaires sociaux ont continué. Et là où les négociations étaient délicates, les entreprises n’ont pas lancé de démarches particulières. Nous montrons que le positionnement des entreprises par rapport à la branche dépend beaucoup du secteur d’activité et des enjeux économiques et sociaux. Ainsi, dans les bureaux d’études, la tradition de dialogue social est faible et il n’y a aucun impératif à se saisir des nouvelles possibilités.

Quelle tendance générale tirez-vous du bilan des dernières réformes en matière de dialogue social ?

A. F. : Toutes les dernières réformes finissent par renforcer le pouvoir patronal et érodent pour les salariés la possibilité de construire des stratégies syndicales. Les syndicats de salariés peinent à retrouver leurs marques, dans un univers de plus en plus complexe. La création des CSE, issus de la fusion des instances représentatives du personnel, a créé énormément de désordre, les syndicats ne savent plus quels sont les niveaux de négociation. Tout cela affaiblit leurs capacités. Et pour dialoguer, il faut être deux. Le rapport de force change et la capacité d’un dialogue en tant que tel se trouve donc questionnée. Aujourd’hui, on voit de plus en plus apparaître des stratégies unilatérales où les représentants de salariés ont moins de capacité à peser pendant la négociation.

(1) Ont également participé à la réalisation de l’étude : Nicolas Farvaque, Kevin Guillas-Cavan, Djamel Messaoudi, Héloïse Petit, Michèle Tallard et Catherine Vincent.

Auteur

  • Olivier Hielle