Par Gilles Gateau directeur général de l’Apec
Attirer des talents, c’est bien. Les garder, c’est encore mieux. Problème : c’est de moins en moins le cas ! Les jeunes cadres cèdent de manière croissante à une tendance nouvelle, forme de transcription du zapping au monde professionnel : la « démission précoce »1.
À l’Apec, nous ne parlons pas de « grande démission » qui frapperait notre pays, comme aux États-Unis, et signalerait une forme de refus massif du travail. Nous préférons parler de « grandes aspirations » qui s’expriment dans le monde du travail : sens du travail, équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, style de management, télétravail et bien d’autres, qui dessinent de nouvelles exigences d’autant plus aisées à affirmer que le rapport de force sur un marché du travail tendu est plus favorable aux salariés.
Mais à un moment, c’est vrai, cette affirmation prend souvent la forme d’une « démission précoce ». L’Apec a voulu quantifier ce phénomène.
Les résultats de cette étude sont édifiants et ne peuvent qu’interpeller les recruteurs : près d’un quart des cadres a déjà démissionné au moins une fois de façon précoce ces dix dernières années. Pour les moins de 35 ans, c’est encore plus marqué : 42 %. Comme si le premier emploi devenait une sorte d’emploi d’essai…
Les causes sont multiples. Elles tiennent d’abord au dynamisme du marché de l’emploi des cadres. Le volume d’offres d’emploi reste encore – pour combien de temps ? – au plus haut : 18 % de plus qu’avant la crise sanitaire. Un dynamisme qui atténue la peur « d’aller voir ailleurs ».
Mais attention ! Expliquer ces démissions précoces par un seul comportement opportuniste face à un marché porteur serait une erreur. La rémunération est importante, mais elle n’est pas la seule motivation. Il y a des raisons plus profondes, sur lesquelles chaque entreprise doit faire l’effort d’un bilan honnête.
En premier lieu, le décalage que jugent avec sévérité les cadres – certains parlent d’un sentiment de trahison – entre description d’un poste au moment de l’embauche et réalité concrète des missions. J’évoquais ici récemment le risque pour les entreprises de ne « faire que de la com’ »… Il n’a jamais été aussi présent : un tiers des cadres affirment constater un écart important entre la réalité de l’emploi qu’ils occupent et la description faite lors des entretiens de recrutement. Ce chiffre passe à 51 % pour les moins de 35 ans : nous ne sommes pas loin du chiffre des démissions précoces pour cette classe d’âge…
Seconde raison : le style de management et les perspectives d’évolution dans l’entreprise. Nombreux sont les cadres, quel que soit leur âge, qui pointent ces deux questions comme déterminantes dans leur choix de quitter rapidement une entreprise.
Dans ce contexte, savoir garder ses talents est pour toutes les entreprises un enjeu crucial. Qui implique de savoir se réinventer en adoptant de nouveaux réflexes. La fidélisation, au départ concept propre au marketing et à la relation clients, est depuis longtemps devenue un des concepts opératoires en ressources humaines, mais trop souvent limité au « comp &ben ». Aujourd’hui, ce sont tous les leviers qu’il faut activer pour fidéliser : les conditions d’emploi et de rémunération, mais aussi les perspectives d’évolution des missions ou des responsabilités exercées ; le contenu des postes avec la mise en évidence du sens ; le climat de travail et les types de management qui, avec l’essor du télétravail, doivent être moins verticaux et plus responsabilisants.
Bref, la fidélisation d’hier ne marche plus, il faut oser la grande fidélisation… à la hauteur des grandes aspirations de la nouvelle génération !
[1] On appelle ainsi un départ volontaire de l’entreprise moins de deux ans après la prise de poste.