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Égalité professionnelle : Le harcèlement sexuel en débat aux prud’hommes

À retenir | publié le : 17.10.2022 | Nathalie Tissot

Une ancienne salariée de l’agence de publicité Braaxe, devenue Life Like Conseil, accuse son fondateur, Julien Casiro, de harcèlement sexuel et moral – sur fond d’ambiance pornographique… La décision des prud’hommes sera rendue le 14 novembre.

Diffusion de films X pendant la pause déjeuner, gage pour les nouvelles arrivées de mimer des fellations avec des godemichets en plastique, mains aux fesses ou sur les seins, propos obscènes… Pour les avocates de Margot1, une ex-salariée qui est la seule à poursuivre son ancien employeur, les témoignages de neuf autres collaborateurs laissent peu de doute sur l’ambiance pornographique instaurée par Julien Casiro, dirigeant et fondateur, au sein de l’agence de publicité Braaxe, désormais rebaptisée Life Like Conseil. Ni le patron, ni l’ancienne salariée, qui a fourni une attestation médicale, n’étaient présents pour l’audience de départage du 29 septembre au conseil des prud’hommes de Paris2. Cette affaire, révélée sur le compte Instagram #Balancetonagency en septembre 2020 et très médiatisée, a fragilisé les deux parties, selon leurs représentants. Elle avait d’ailleurs conduit à l’abandon du rachat de l’agence de publicité par le groupe Australie, refroidi par les multiples accusations…

Emprise psychologique

D’après des documents figurant dans le dossier prud’homal, Margot a par exemple photographié son anus en échange d’une prime de 1 000 euros. « Céder n’est pas consentir », a martelé Élise Fabing, l’une de ses avocates. « Ma cliente était complètement sous emprise. Il y a une domination intellectuelle et économique dans ce dossier. Ne pas le reconnaître, c’est nier le rapport de force entre un salarié et son employeur, argumente-t-elle en ajoutant : elle était salariée, jeune, elle commençait. Casiro était plus âgé, avait beaucoup de succès, était n° 2 du syndicat des agences de communication. Elle faisait tout pour lui plaire, forcément… »

Pendant six ans, les messages échangés entre les deux protagonistes se comptent par centaines. « C’est elle qui va le chercher constamment », affirme Pauline Chanel, conseil de l’agence publicitaire, qui cite elle aussi plusieurs exemples de textos ambigus envoyés par la plaignante, dont : « Le jour que vous voulez, je me balade toute nue parce que vous êtes le meilleur patron du monde », un SMS de 2014, présent dans le dossier prud’homal. « Elle lui a fait croire qu’il était son plus grand confident », renchérit-elle en dénombrant 66 invitations envoyées à son client. Selon elle, la relation était réciproque, il n’existait donc pas de harcèlement. « C’est Julien Casiro qui a commencé ces échanges quand elle était en période d’essai en lui parlant de promotion canapé si elle voulait évoluer dans l’agence. Et cela, trois semaines après son arrivée », défend Élise Fabing, qui évoque également un photomontage pornographique de sa cliente envoyé à toute l’équipe.

Relation de pouvoir

Peut-on invoquer la notion de consentement dans le cadre de la relation d’un salarié à son patron ? « L’ambiance peut donner l’apparence du consentement des salariés. Mais nous sommes dans des relations de travail, de pouvoir, et comme dans toute relation de pouvoir, la notion de consentement doit être prise avec des pincettes », analyse Marilyn Baldeck, la déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui mentionne une autre affaire récente, celle d’un gérant condamné le 26 février 2021 par le tribunal correctionnel de Paris pour agression sexuelle. La plaignante avait, dans un premier temps, participé à l’ambiance sexualisée instaurée dans la société. « Elle était dans un phénomène de mimétisme par rapport à la culture dominante de cette entreprise parce que c’était la condition pour pouvoir travailler normalement, pour ne pas être exclue du collectif de travail, pour avoir accès à des informations stratégiques, pour participer aux moments de socialisation dans l’organisation », explique la déléguée générale de l’AVFT.

Dans l’affaire Braaxe, Margot, qui a retrouvé un emploi mais dont la santé reste fragile, selon ses avocates, réclame la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et 50 000 euros pour harcèlement moral et sexuel à son ancien employeur. Ce dernier, qui lui reproche d’avoir provoqué l’échec de la vente de Braaxe au groupe Australie, lui demande quant à lui 100 000 euros au titre du préjudice moral et commercial. La décision des prud’hommes sera rendue le 14 novembre.

(1) Le prénom a été changé.

(2) Au terme d’une première audience, en mai 2021, les conseillers n’étaient pas tombés d’accord.

Auteur

  • Nathalie Tissot