logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Chroniques

La semaine de 4 jours : une nouvelle mode ou une vraie tendance de fond ?

Chroniques | publié le : 10.10.2022 |

Image

La semaine de 4 jours : une nouvelle mode ou une vraie tendance de fond ?

Crédit photo

Charles-Henri Besseyre des Horts professeur émérite à HEC Paris

Dans un contexte de post-pandémie marqué par un questionnement sur la place du travail, notamment avec le développement des multiples formes d’organisations hybrides1, le choix d’un nombre croissant de petites et moyennes entreprises de faire le test de la semaine de 4 jours peut sembler anachronique. Cette idée n’est pas nouvelle, loin de là. C’est en effet en 1993 que Pierre Larrouturou, soutenu par Gilles de Robien, propose une formule valorisant un aménagement du temps de travail en France. La loi de Robien est votée en 1996 et permet entre 1996 et 1998 à près de 400 entreprises françaises de bénéficier d’avantages fiscaux à condition d’appliquer la semaine de 4 jours. Certaines de ces sociétés pionnières (assurances, industries alimentaires, banques) continuent d’ailleurs à suivre la formule malgré l’abrogation de la loi de Robien, avec la promulgation des lois Aubry dès les années 20002. C’est d’ailleurs l’une de ces entreprises, Yprema3, spécialisée dans le recyclage de matériaux de déconstruction, qui est aujourd’hui l’une des plus anciennes en France à avoir adopté en 1997 et surtout conservé la semaine de 4 jours avec 81 salariés en 2021.

Mais alors pourquoi un tel engouement pour une vieille idée : la semaine de 4 jours ? Ce qui s’apparente à une nouvelle mode devient en effet un phénomène mondial, si l’on en juge par le nombre grandissant de pays qui, à l’image du Royaume-Uni, ont démarré en 2022 des expériences de semaines de 4 jours concernant des dizaines d’entreprises et des milliers de salariés ou vont les démarrer en 20234. La réponse à cette question tient, en partie, au phénomène de la « grande démission », relativement limité en Europe et en France en particulier5, qui pousse les entreprises à rechercher des offres d’expérience salarié de plus en plus différenciantes pour attirer et surtout retenir les talents dont elles ont cruellement besoin.

Dans cette perspective, la semaine de 4 jours peut être présentée comme une réponse durable à la demande, clairement formulée depuis la pandémie, d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Parmi les autres avantages souvent mentionnés, on voit souvent cités : 1. moins de stress et d’épuisement des travailleurs et travailleuses ; 2. le renforcement de la marque employeur ; 3. une meilleure productivité ; 4. la réduction du chômage parce qu’il y aurait besoin de plus de personnel pour compléter et mieux répartir de temps de travail, comme le défendait en 1993 Pierre Larrouturou ; 5. un bénéfice réel pour le climat parce qu’il permettrait aux entreprises de réduire les déplacements et de faire des économies d’énergie dans les bureaux6.

Au passif de la semaine de 4 jours, quelques experts, comme Benoît Serre, DRH de L’Oréal France et vice-président de l’ANDRH, remettent en cause certains de ces avantages, notamment le premier (moins de stress et d’épuisement) qui risque au contraire de s’aggraver si la mise en œuvre n’est pas correctement préparée, sans compter les risques de perte de lien social entre collègues qui ne se voient jamais. D’autres conséquences négatives sont également soulignées7 : 1. des journées de travail plus longues si l’on conserve la durée hebdomadaire de 35 heures avec 8,75 heures par jour (à comparer aux 7 heures légales) ; 2. des difficultés pour réorganiser l’entreprise avec des métiers et des activités qui n’ont pas les mêmes flexibilités ; 3. une baisse de salaire possible difficile à accepter en ces temps de hausse rapide du taux de l’inflation ; 4. un risque accru de désengagement comparable à ce qui est observé dans l’organisation hybride entre celles et ceux qui peuvent bénéficier de la semaine de 4 jours et les autres.

En définitive, toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité, peuvent apprendre d’expériences réussies, comme celle depuis début 2021 de LDLC, pionnier du e-commerce dans le secteur de la distribution de matériel informatique et électronique, dont le dirigeant-fondateur Laurent de la Clergerie n’hésite pas à affirmer : « Pour moi, la semaine de 4 jours s’inscrit dans un véritable projet d’entreprise qui fait du bien-être le pilier de la performance collective. » À charge, donc, pour les entreprises et leur DRH de créer les conditions, notamment par le développement de la polycompétence, pour que la semaine de 4 jours soit simultanément la concrétisation d’une autre expérience du travail réussie pour les salariés et un facteur pérenne de performance pour l’entreprise.

(1) Autissier, D., Peretti, JM., Besseyre des Horts, CH : Les nouvelles organisations hybrides, MA Eska Editions, 2022

(2) Rajteric, L. : « Semaine de 4 jours, un aménagement du temps de travail profitable à tous ? », Asana, 12/1/2022 https://asana.com/fr/resources/4-day-work-week

(3) Rodier, A. : « La semaine de quatre jours pour travailler plus », Le Monde.fr, 6/9/2022.

(5) Besseyre des Horts, CH : « La grande démission : un risque limité mais des actions à mener », Entreprise & Carrières, n° 1562, du 7 au 12 février 2022, p. 22

(7) Rajteric, L. : « Semaine de 4 jours…. », op.cit.