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« Certaines entreprises rouvrent les NAO »

Tendances | publié le : 03.10.2022 | Natasha Laporte

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Entretien : « Certaines entreprises rouvrent les NAO »

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Face à une inflation galopante, le dialogue social dans les entreprises se tend autour des salaires – alors même que les organisations sont également confrontées à la montée des prix de l’énergie. Les récentes mesures dégainées par le gouvernement ainsi que certaines dispositions antérieures donnent pourtant des marges de manœuvre pour renforcer le pouvoir d’achat des salariés. Décryptage avec Louise Peugny et David Guillouet, avocats en droit du travail au cabinet Voltaire Avocats.

Loi pouvoir d’achat, projet de loi de finances rectificative (PLFR 2022)… Cet été, le législateur a renforcé l’arsenal en faveur du pouvoir d’achat des salariés face à la hausse du coût de la vie. Parmi elles, la prime de partage de la valeur, qui remplace la « prime Macron ». Qu’est-ce qui change ?

Louise Peugny : Parmi les différentes mesures votées en urgence cet été, figure en effet la prime de partage de la valeur (PPV), autrement dit, la nouvelle Pepa (prime exceptionnelle de pouvoir d’achat) qui a changé de nom puisqu’elle est désormais pérennisée. On y retrouve un certain nombre de similitudes avec le dispositif antérieur, notamment le fait que les entreprises ont la possibilité de l’instituer de manière négociée avec leur comité social et économique (CSE) ou avec leurs organisations syndicales, et donc de conclure un accord collectif, ou de le faire directement, de manière unilatérale. Nouveauté toutefois, alors que la Pepa imposait une simple information, les entreprises ont désormais l’obligation de consulter le CSE si elles choisissent de mettre en place la PPV via une décision unilatérale. Nous constatons que, pour l’instant, cela se fait davantage via une décision unilatérale, plus simple à mettre en œuvre et plus rapide que de passer par une négociation avec les organisations syndicales. Autre nouveau critère par rapport à la Pepa, il est possible de moduler le montant de la prime en fonction de l’ancienneté dans l’entreprise, sans toutefois exclure des salariés du bénéfice de la PPV sur la base de l’ancienneté. De même, s’y applique un nouveau régime fiscal et social, de manière temporaire.

Quelles sont les exonérations pour la PPV ?

L. P. : Le gouvernement a choisi de maintenir un régime fiscal et social de faveur pour les PPV versées entre le 1er juillet 2022 et le 31 décembre 2023 pour les salariés qui, pendant les 12 mois précédant le versement de la prime, ont perçu un salaire inférieur à trois fois la valeur annuelle du Smic. Au-delà de trois Smic, la prime est intégralement soumise à l’impôt sur le revenu pour le salarié, à la CGS et la CRDS, et les employeurs de plus de 250 salariés doivent s’acquitter du forfait social. En outre, à partir du 1er janvier 2024, la tolérance qui existe pour les salariés percevant moins de trois fois le Smic annuel disparaîtra et tous les salariés seront au même régime, quel que soit le niveau de leur rémunération. Enfin, la prime de pouvoir d’achat étant désormais pérennisée, l’entreprise peut décider de la verser tous les ans si elle le souhaite. Pour l’heure, toutefois, les décisions unilatérales et les accords que nous observons sont en général conclus pour des durées déterminées.

David Guillouet : Nous avons effectué des sondages auprès de nos entreprises clientes et certaines prévoient de verser des sommes assez significatives au titre du partage de la valeur, souvent à hauteur de 1 000 euros. Reste que le dispositif étant désormais pérenne, il devient en quelque sorte un élément de motivation des collaborateurs comme les autres – or son régime social et fiscal sera avec le temps de moins en moins intéressant…

Autre mesure, le déblocage anticipé de l’épargne salariale et de l’intéressement. À quelles conditions ?

L. P. : Il s’agit de la possibilité pour les salariés de débloquer leurs droits à intéressement ou participation affectés sur le plan d’épargne de l’entreprise jusqu’au 31 décembre 2022. Les employeurs ont d’ailleurs l’obligation, avant le 16 octobre 2022, d’informer l’ensemble des salariés de la possibilité de débloquer de manière anticipée leurs droits à intéressement et participation. On observe néanmoins des cas où le déblocage n’est pas possible. Ainsi, il est interdit de débloquer les parts investies dans les entreprises solidaires. Ne peuvent pas non plus être débloqués les droits au Perco – les plans d’épargne retraite collectifs, car ce sont des droits déblocables seulement à la retraite du salarié. Par ailleurs, certains déblocages sont liés à la conclusion d’un accord collectif avec les partenaires sociaux, notamment concernant les Sicav d’actionnariat salarié. Enfin, la limite plafond du déblocage est égale à 10 000 euros net de prélèvements sociaux. Nous constatons néanmoins que certaines entreprises ont la volonté, lorsqu’elles doivent négocier un accord collectif, d’abaisser ce plafond – de crainte de fragiliser les fonds propres ou la trésorerie de l’entreprise.

Quelles sont les modalités pour le rachat des RTT ?

L. P. : La loi pouvoir d’achat permet aux salariés de renoncer à tout ou partie des journées de repos acquises entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025. Tous les types d’entreprises sont concernés. Pour les salariés, la journée rachetée est majorée comme les heures supplémentaires, donc à hauteur de 25 % en l’absence d’accord collectif prévoyant une majoration différente. Et pour le salarié, les jours rachetés sont exonérés d’impôts sur le revenu, dans la limite de 7 500 euros par an. En revanche, la loi n’aborde pas le formalisme de la demande, ni la date à laquelle le salarié doit la former ou la manière dont l’employeur apporte une réponse. Nous sommes actuellement interrogés sur comment mettre en œuvre ce type de dispositif de rachat des jours : permet-on au salarié dès qu’il acquiert une RTT de faire sa demande de rachat ? Doit-on négocier avec les organisations syndicales ou doit-on le faire par décision unilatérale ? Autre problématique que nous rencontrons et qui n’est pas abordée par la loi : comment articuler cette mesure dans le cas où le salarié dispose d’un compte épargne-temps dans son entreprise ?

D. G. : C’est en effet le dispositif sur lequel nous avons le plus de difficultés à savoir si oui ou non il rencontrera son public. Nous sentons les DRH dans l’expectative… Par ailleurs, nous incitons les entreprises à faire attention à ne pas créer de rupture d’égalité entre collaborateurs et d’être assez claires dans les critères de refus ainsi que de formaliser ceux-ci, même si cela n’est pas prévu par les dispositions de la loi.

Quels autres leviers les entreprises actionnent-elles ?

D. G. : Il existe des dispositions non issues des lois récentes et que nous voyons aujourd’hui mobilisées par les entreprises pour soutenir le pouvoir d’achat de leurs collaborateurs. Tout d’abord, nous assistons à un phénomène inédit – les réouvertures des négociations annuelles obligatoires (NAO). Généralement, les entreprises font leur NAO au premier trimestre de l’année pour une application rétroactive depuis le 1er janvier de l’année en cours. Cependant, nous constatons que, compte tenu de la pression ressentie par les entreprises sur le terrain des salaires, certaines entreprises relancent les NAO 2022 alors même qu’elles sont terminées et ont parfois donné lieu à des accords, ou vont jusqu’à ouvrir de manière anticipée les NAO pour 2023 de manière circonscrite aux salaires.

L. P : D’autres s’emparent des dispositifs concernant la prise en charge de frais de transport entre le domicile et le lieu de travail. La loi du 16 août permet aux employeurs de les prendre en charge au-delà des 50 % obligatoires prévus par le Code du travail, dans la limite de 25 % du coût de l’abonnement. En outre, nous voyons depuis le début de l’année les entreprises mettre de plus en plus souvent en place la prime transport et le forfait mobilité durable – deux dispositifs facultatifs dans le Code du travail. Et ce, avec des montants variables, uniformes pour l’ensemble des salariés, ou en fonction de la distance qui sépare le domicile du lieu du travail. Il faut savoir que la loi de finances rectificative a relevé les plafonds d’exonération de la prime transport et du forfait mobilité durable pour 2022 et 2023. Ce qui signifie qu’à ce jour, à partir de 2024, il faudra revenir sur les plafonds d’avant la PLFR votée cet été.

Autre dispositif, qui, lui, existe depuis une dizaine d’années : la majoration des sommes versées au titre de l’intéressement et de la participation, qui permet avec un formalisme simple, à certaines conditions, de bénéficier d’un supplément. Si ce n’est pas le dispositif le plus utilisé, certaines entreprises s’y intéressent, redoutant que la prime de partage de la valeur crée un effet d’habitude auprès des collaborateurs et devienne ainsi une source de surcoût. D’autant que, dans la mesure où le régime fiscal de la PPV sera calqué sur le régime de l’intéressement pour tout le monde à partir de janvier 2024, le supplément d’intéressement pourrait revenir en grâce. Enfin, c’est sans oublier que, lors des NAO cette année, nous avons observé l’augmentation de la participation employeur aux titres-restaurant ou à la majoration de la part patronale au financement de la mutuelle. Autant de manières susceptibles de redonner du pouvoir d’achat aux collaborateurs.

Auteur

  • Natasha Laporte