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Les clés

Le conformisme moral dans le monde du travail

Les clés | À lire | publié le : 03.10.2022 | Irène Lopez

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Le conformisme moral dans le monde du travail

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Le monde de l’entreprise est traversé par des croyances et des discours moraux. Qu’est-ce qui est bien, qu’est-ce qui est mal ? Enquête sur ce phénomène dans et sur l’entreprise par Sandra Enlart dans son livre Quand le bien et le mal s’invitent au travail.

La responsabilisation, c’est bien ; la méfiance, c’est mal. Suivant « d’où l’on parle », on trouvera les dirigeants ringards et méchants, alors que l’ouvrier et l’employé du bas de l’échelle disent « le vrai du travail réel ». Quant aux gestionnaires, ce sont d’horribles obsédés des process et des profits – ou de fantastiques pourvoyeurs de performance. Mais jamais les deux à la fois. Qu’est-ce qui est bien, qu’est-ce qui est mal ? Ces certitudes fonctionnent souvent sur un mode binaire : il y aurait les bons et les méchants, le vrai et le faux, les ringards et les modernes. Au fil de son ouvrage, Sandra Enlart, directrice de recherche en sciences de l’éducation à Paris-X-Nanterre, s’emploie à mettre en lumière nombre de ces récits qui ont cours dans les entreprises.

Manque de nuance

« Le travail tue », « le réel est sur le terrain », « dans l’entreprise, tout est manipulation »… Si l’auteure souligne la véracité de certaines thèses, elle regrette le manque de nuances et les présentations manichéennes qui sont régulièrement faites du monde du travail. Et tente de comprendre ce qui sous-tend ces discours, pour mieux les dénoncer, puis les déconstruire. Pourquoi ces discours ne cessent-ils d’être présents dans la pensée managériale ? Par exemple, « réconcilier l’entreprise et ses salariés », que l’on peut lire dans la pléthore d’ouvrages de management qui sortent tous les mois, prend racine chez Taylor, père de la nouvelle organisation fondée sur une division technique du travail, c’est-à-dire organisée par postes.

« Comment on pense »

L’originalité de la démarche de Sandra Enlart réside dans le fait qu’elle n’oppose pas les uns aux autres. Elle ne prend pas parti en donnant de bonnes ou de mauvaises notes. L’exercice auquel elle s’est intéressée consiste à décrypter « comment on pense », d’un côté, puis de l’autre. Elle traque les implicites et les postures intellectuelles, mais aussi les non-dits, les absences, les aveuglements, ce que l’on ne veut pas ou ne peut pas voir ou dire…

Cela amène à une dernière partie où l’auteure s’interroge sur les effets de ces manières de penser la morale et la contre-morale dans l’entreprise. Elle défend l’idée que ces discours sont finalement aussi sclérosants les uns que les autres, du fait de leur structure, et qu’il convient de chercher d’autres manières de raisonner pour garder une certaine forme d’exigence, condition de la liberté de penser.

Après quarante années passées à la fois dans l’entreprise comme consultante et avec l’entreprise comme chercheuse, Sandra Enlart alerte : le conformisme moral règne en maître dans le monde du travail. Il y a urgence à prendre de la distance !

Auteur

  • Irène Lopez