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Les entreprises de plus en plus sensibilisées aux violences conjugales

Tendances | publié le : 26.09.2022 | Nathalie Tissot

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Santé au travail : Les entreprises sont de plus en plus sensibilisées aux violences conjugales

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Tout collaborateur peut être concerné et la vie de l’entreprise affectée. Les employeurs s’emparent désormais du sujet pour ne pas y être confrontés de façon dramatique.

En 2021, 122 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en France, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur publiés fin août. Une hausse de 20 % par rapport à l’année précédente. En dehors de ces situations extrêmes, 225 000 femmes sont victimes de violences conjugales chaque année, qu’elles soient physiques, verbales, sexuelles ou psychologiques… Pour celles qui ont un travail, synonyme d’autonomie économique, et parfois dernier lieu de sociabilisation, la sphère professionnelle peut devenir un tremplin pour sortir de ces souffrances. Ainsi, en Europe, 42 % des victimes en ont déjà parlé à leurs collègues, selon une étude de 2019 menée par la Fondation Agir contre l’exclusion (FACE) et le premier réseau européen d’entreprises engagées sur ces questions : One In Three Women. En outre, plus d’un(e) salarié(e) sur deux déclare que ces violences affectent son travail et un(e) sur trois qu’elles ont été la cause d’absences.

« Au travail, il lui envoyait tout le temps des messages et appelait son portable. En réunion, elle recevait trois ou quatre SMS pour savoir où elle était, à quelle heure elle partait… », rapporte une interlocutrice des ressources humaines d’EDF, citée lors d’une conférence1, fin 2021, par Séverine Lemière, économiste, maîtresse de conférences en gestion des ressources humaines à l’IUT Paris Descartes et présidente de l’association Une femme, un toit. Elle a établi, avec la juriste Marie Becker, spécialiste des violences sexistes et sexuelles au travail, un état des lieux sur ce sujet au sein du groupe EDF. Leur diagnostic ? Quelque 39 % des personnes-ressources internes (assistantes sociales, infirmières, RH, médecins, représentants du personnel…) avaient déjà entendu parler ou eu à gérer une situation de violence conjugale. « Le lieu de travail reste un lieu connu de l’auteur des violences où il peut chercher à garder son emprise », rappelait-elle.

Baisse de productivité, retards, absences, stigmatisation vis-à-vis des collègues, frein à l’évolution de carrière… les conséquences sur la vie de la salariée et de l’entreprise peuvent être multiples. À l’inverse, certaines victimes surinvestissent pour fuir le foyer. « Je traînais beaucoup au bureau, je n’avais pas envie de rentrer chez moi et j’étais tout le temps couverte, même l’été : toujours des manches longues, des pantalons, pour pouvoir cacher les marques », se souvient Hélène. La trentenaire, qui témoigne dans le podcast One In Three Women, a pu sortir de ces violences commises entre ses 20 et 27 ans grâce à une stagiaire et une alternante de son équipe qui ont provoqué le déclic. En outre, « l’entreprise a fait passer des notes à l’accueil pour que mon conjoint n’y soit pas admis. Et j’ai eu du temps pour pouvoir faire toutes mes démarches », précise-t-elle.

Partenariats

Confrontés à ces situations, de plus en plus d’employeurs s’emparent du sujet, certains l’ayant intégré dans leur accord collectif sur l’égalité professionnelle, et se tournent vers des structures spécialisées pour les épauler. « Les violences au sein du couple sont parfois difficiles à comprendre pour les personnes qui ne sont pas concernées. Elles peuvent se demander pourquoi la victime ne quitte pas le domicile, par exemple. Certaines choses sont à appréhender pour avoir la bonne attitude », relate Olivia Mons, porte-parole de France Victimes. L’association a, par exemple, organisé une conférence au sein d’AccorInvest lors de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, en 2021. Le groupe, dont l’effectif inclut 4 000 collaboratrices en France, a ainsi compris que son personnel était directement touché. « Certains hôtels nous ont demandé s’il était possible d’aller plus loin dans la démarche », raconte Florence Faure-Sauvanet, directrice des ressources humaines Europe du Sud d’AccorInvest, qui ajoute qu’en tant qu’opérateur hôtelier (276 hôtels en France, 801 au total), « nos salariés peuvent être amenés à être témoins de violences conjugales ». Depuis, des projets ont été lancés pour sensibiliser les collaborateurs, permettre le recueil des signalements et soutenir les victimes en les orientant vers des organismes compétents.

D’autres s’engagent encore davantage. L’enseigne Metro France propose ainsi, grâce à un partenariat avec Via Humanis, un logement d’urgence à tout salarié victime de violences intrafamiliales dans les 48 heures. Pendant un mois, le loyer est entièrement financé par le fonds de solidarité de la commission sociale du CSE central, le temps de trouver un lieu de résidence temporaire dont le surloyer supérieur au tiers des revenus du bénéficiaire peut également être pris en charge pendant six mois. « Pour activer ces mesures, nous ne demandons pas de dépôt de plainte, juste le témoignage écrit de notre collaborateur ou collaboratrice », précise Inès Ben Fadhel, juriste en droit social à Metro France.

Libérer la parole

Encore faut-il que la parole se libère. À cet égard, pour la directrice du centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de Seine-Saint-Denis, garantir la confidentialité est essentiel. Une permanence à destination des 8 000 agents du conseil départemental du 93 a ainsi été ouverte dans un endroit « neutre, sans affichage », précisait Céline Foulc lors de la conférence de fin 2021. Les victimes peuvent s’y rendre sur leur temps de travail sans que le motif de leur absence soit connu. « À aucun moment, son N+1 ne sait qu’elle est en contact avec le CIDFF », assure la responsable. Une protection encore plus pertinente lorsque l’auteur des agissements travaille au même endroit. Dans 21 % des cas de l’étude d’EDF, les auteurs étaient aussi salariés de l’entreprise, dont une partie sur le même lieu de travail que la victime…

Sensibiliser le personnel masculin, diffuser le numéro d’écoute à destination des auteurs de violences (le 08 019 019 11) est aussi, pour Alain Legrand, président de la Fédération nationale des associations et centres de prise en charge d’auteurs des violences conjugales (FNACAV), un levier essentiel. « Il faut penser à la source de la problématique et travailler le plus en amont possible », insiste-t-il. D’autant que les résultats sont là : 80 % des auteurs de violences qui appellent la ligne nationale acceptent un suivi à l’issue de l’entretien.

(1) « Violences au sein du couple, on en parle au travail ? », organisée en novembre 2021 par la Fédération nationale des CIDFF.

Auteur

  • Nathalie Tissot