Corinne Hirsch, experte en égalité professionnelle et dirigeante du cabinet Aequiso, alerte sur certains travers dans les entreprises, qui évitent en fait de s’attaquer aux vraies inégalités…
Il y a 20 ou 30 ans, on s’est beaucoup centré sur cette question, et voici que cette thématique revient aujourd’hui… Pour moi, ce sujet est presque mineur par rapport aux freins organisationnels et structurels, liés aux différences entre les sexes et au sexisme en général. Travailler sur la grossesse a été une façon de ne pas réfléchir à l’organisation et de ne pas travailler sur le fond. Qu’aujourd’hui ce sujet revienne me provoque une certaine inquiétude, notamment lorsque j’ai entendu dernièrement que les entreprises travaillaient sur les 3 M – maternité, menstruation, ménopause. C’est un piège. Le risque est de « ré-essentialiser » les femmes autour de leur ventre… Notre combat a été de dire que la grossesse représente six ou sept semaines de congé, pris en moyenne deux fois dans une vie professionnelle. Cela ne peut donc pas être le seul fondement des inégalités. Cependant, il est indéniable qu’il y a bien une présomption permanente vis-à-vis des femmes, liée à leur possible maternité, mais nous remarquons que les écarts de salaires touchent aussi les femmes qui n’ont pas d’enfants et qui, en fin de carrière, ont toujours un salaire inférieur aux hommes. En d’autres termes, les inégalités au travail ne sont pas liées principalement à cette période de la vie. Il faut souligner en revanche qu’il manque entre 300 et 5 000 places d’accueil de la petite enfance. Tant que l’on n’aura pas trouvé une solution, les femmes seront obligées de compenser, particulièrement celles qui ont des faibles revenus et qui ne peuvent pas s’adjoindre les services d’une personne qui va les aider. Elles sont souvent obligées de partir en congé parental subi.
Le droit à l’augmentation salariale des femmes au retour de la maternité est inscrit dans la loi. Or un très grand nombre d’entreprises affichent un mauvais score, zéro, souvent, sur ce critère dans l’Index de l’égalité. Certaines découvrent même que c’est obligatoire, et pis, d’autres déclarent qu’elles ne comprennent pas pourquoi une femme qui n’a pas été en poste pendant une période donnée serait augmentée. Paradoxalement, lorsque les entreprises se préoccupent de l’égalité au travail, elles commencent souvent par ce que j’appelle le plus simple, c’est-à-dire faciliter les temps de vie, le temps partiel, le congé parental, la non-discrimination sur la prise de congés avec les congés parentaux, l’interdiction des réunions avant 9 heures ou après 18 heures. Mon rôle est de leur dire : « C’est très bien, mais occupons-nous du reste ». J’ai accompagné une entreprise qui n’arrivait pas à signer son accord égalité parce qu’il y avait un blocage interne sur le fait d’attribuer des places de stationnement proches de l’entrée de l’entreprise aux femmes enceintes, réservées à la direction. Pourtant, toutes les femmes qui ont été enceintes vous diront qu’elles sont tout à fait capables de marcher, et que c’est même souvent conseillé par leur médecin ! Malgré la bienveillance, on passe à côté du vrai sujet et pendant ce temps, on ne travaille pas assez sur les leviers structurels.
Nous glissons en effet vers une notion de parentalité très normative, et qui, paradoxalement, enferme aussi les hommes. Sont mis en avant l’aide au temps partiel le mercredi ou le congé parental – comme si c’était une évidence que pour bien s’occuper de ses enfants, il fallait s’arrêter de travailler ! Et l’on enferme d’ailleurs aussi les hommes dans cette notion. Mais des milliers d’enfants grandissent bien alors que leurs parents travaillent cinq jours par semaine. Bref, la pression sociale sur ce qu’est « une bonne mère » est effarante. Attention au risque d’un retour en arrière ! Même si, évidemment, dans la panoplie des mesures pour l’égalité, il faut absolument qu’il y ait cette souplesse et cette compréhension, aussi bien dans l’entretien individuel avec le supérieur hiérarchique qu’avec les RH avant et après le congé maternité, ainsi que des accompagnements, c’est une question de bon sens. Mais il faut aller au-delà.