La période – de l’annonce de la grossesse au retour de congé maternité – n’est pas forcément facile pour les femmes au travail, ni pour les employeurs. Certains DRH s’emparent cependant du sujet, pour que la maternité ne soit plus un frein à la carrière.
Aujourd’hui comme hier, les témoignages sont là. L’annonce d’une grossesse dans une entreprise est souvent une source d’angoisse pour les femmes concernées, et une situation peu ou mal gérée par l’employeur. Cet évènement, pour banal qu’il soit, semble ainsi avoir du mal à s’inscrire de façon sereine dans les calendriers des sociétés – même si elles vantent leurs capacités d’adaptation face à l’imprévu… Au-delà des témoignages, les chiffres aussi, sont là. Dans le 10e baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, publié par la Défenseure des droits le 7 mars dernier, la grossesse et la maternité sont le troisième motif de discrimination cité par les femmes, avec 7 % d’occurrence et 3 % des saisines. Sous des formes diverses et plus ou moins ouvertes : freins à l’embauche, ruptures de la période d’essai, refus de promotion ou de réintégration en poste ou à un poste similaire après le congé maternité…
En dépit de lois toujours plus contraignantes, les entreprises n’avancent pas toutes au même rythme. Pourtant, au-delà de l’aspect humain, elles auraient tout intérêt, en cette période de pénurie de talents et de nécessaire féminisation des effectifs, à se pencher sérieusement sur la question. « Nous sommes encore dans une situation où tout dépend des entreprises et du manager », relève Clémence Pagnon, cofondatrice d’Issence, un cabinet qui accompagne les entreprises dans leur politique de parentalité. Elle a ainsi lancé le Parental Challenge, qui propose une charte comprenant 12 mesures d’accompagnement de la parentalité. Car préparer le terrain en amont, en mettant en place une organisation de travail qui intègre les éventuelles maternités et penser les aménagements de temps de travail, permet précisément aux organisations de ne pas être prises au dépourvu. Et de ne pas non plus laisser la place à des appréciations, voire des jugements de managers qui ne savent pas comment gérer la situation…
Premier virage à négocier, le début de la grossesse. « Le premier trimestre se vit le plus souvent en silence, explique Clémence Pagnon. Or cette période pourrait déjà faire l’objet d’une réflexion en amont. En donnant la possibilité de le signaler très tôt aux RH, et agir sur l’aménagement du temps de travail, les transports, les rendez-vous médicaux, le télétravail si nécessaire… » Savoir que de telles mesures sont possibles pourrait en effet permettre aux femmes de vivre cette période plus sereinement. Reste que se positionner sur la maternité est parfois délicat pour les entreprises. « Elles craignent souvent d’entrer dans l’intime ou de mal faire », constate la consultante. Première action conseillée aux employeurs qui souhaitent se lancer : établir un guide de la parentalité, disponible sur l’intranet, et qui « indique les droits et les dispositifs accessibles dès l’annonce de la grossesse. Nous avons mené une étude qui montrait que 80 % des femmes ne bénéficiaient pas de leurs droits, comme l’entretien de carrière au retour de maternité », ajoute-t-elle. Des manquements qui peuvent être déterminants pour la suite. Et qui ont marqué des manageuses et des responsables RH, enclines à se référer à leur propre expérience. Ainsi de Julie Asselin, directrice marketing de 365Talents, qui accompagne les sociétés dans le développement de compétences des salariés. « J’avais moi-même vécu deux expériences très différentes, témoigne-t-elle. Dans une première entreprise, j’avais été promue en rentrant de congé maternité. Dans la suivante, à l’inverse, j’ai été mise au placard. On a estimé que je ne pouvais plus gérer les budgets du département marketing dont j’avais la charge… » Elle a décidé donc de changer d’entreprise et, en 2020, dès son entretien d’embauche avec les fondateurs de 365Talents, elle dit les choses. « J’ai été très ouverte, en précisant notamment qu’à partir de 18 h 30, je serais chez moi », dit-elle. Message reçu par des dirigeants eux-mêmes concernés par le sujet… Parmi les mesures mises en place par son nouvel employeur, signataire du Parental Challenge, une prise en charge de tous les rendez-vous médicaux pendant la grossesse et une discussion avant le départ en congé maternité, pour savoir sur quelle durée la salariée souhaite le prendre. Sont ensuite proposés des points réguliers au cours du congé maternité pour adapter au besoin cette durée et l’organisation du travail qui en découle. Et au retour de la salariée, de nouveau, des points réguliers sont fixés, pour un re-onboarding en douceur.
Prendre en compte les grossesses à risque est également un sujet sur lequel se penchent certaines entreprises. Et là encore, l’expérience de responsables RH qui ont affronté ces situations peut jouer dans la mise en œuvre de dispositions ad hoc. « J’ai vécu deux grossesses avec un fort diabète, témoigne ainsi Camille Plainfossé, responsable RH chez Dashlane, une entreprise spécialisée dans la sécurisation des données personnelles sur Internet. La première, dans une précédente société, où j’ai dû prendre un congé pathologique, et donc cesser totalement le travail, car rien n’était prévu pour que je puisse continuer sereinement. La seconde, chez Dashlane, où j’ai pu aller jusqu’à mon congé maternité sans stress, avec du télétravail et des horaires choisis », indique-t-elle. Autre sujet qui fait son apparition et est notamment mis en lumière par Judith Aquien, auteure du livre Trois mois sous silence, la fausse couche. « Rien n’est prévu dans la loi sur ce sujet, remarque Valérie Vezinhet, DRH France et Maghreb du cabinet d’audit et de conseil PwC. La prise en compte de cet évènement n’est couverte ni par les entreprises ni par les conventions collectives. Nous avions pensé à soutenir toutes les formes de parentalité avant et après l’arrivée de l’enfant, mais il nous a semblé logique d’ajouter également trois jours de deuil, pour la mère ou le second parent. » Considérant que l’annonce de cette nouvelle nécessitait une grande confidentialité, « nous l’avons incluse dans notre panel de jours de congés exceptionnels pour la salariée concernée ou le second parent, octroyés sans avoir besoin de l’approbation du manager », détaille-t-elle.
Comment vérifier l’effet des mesures de parentalité sur la carrière des femmes ? Difficile de répondre (lire aussi l’entretien). D’une part parce qu’elles sont la plupart du temps assez récentes, et de l’autre, parce qu’elles s’ajoutent souvent à d’autres mesures et qu’il est difficile de faire la part des choses. Dans des secteurs comme la banque, très innovante dans l’aménagement du temps de travail pour les périodes de maternité, « il est conseillé de regarder la proportion de femmes dans les comités de direction, indique une observatrice. Et là, on s’aperçoit que les choses ne changent pas vraiment… »
Veiller à ce que la période de grossesse et de maternité ne soit pas un obstacle à la carrière nécessite clairement une grande vigilance. « Même s’il est bien entendu que chaque manager considère l’évolution de chacun des membres de son équipe, en tant que RH, nous vérifions qu’il n’y a pas eu de freins, à l’occasion de nos revues régulières d’augmentation et de promotion », explique Camille Plainfossé.
Chez PwC, un travail de fond a été lancé, avec des ateliers proposés aux managers sur les biais inconscients qui peuvent nuire à la carrière des femmes, et d’autres, sur l’inclusion et la diversité. De même qu’un système plus « autoritaire », qui, s’il n’a pas fait l’unanimité au départ, permet de s’assurer d’une politique plus égalitaire. « Nous avons pris la décision d’imposer que la proportion d’hommes et de femmes promus au regard des effectifs soit la même, ce qui permet de gommer notamment les effets des arrêts de travail plus longs des femmes et nous avons également imposé que les critères d’évaluation de performance des femmes soient les mêmes que celles des hommes », indique ainsi Valérie Vezinhet.