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La triple inversion

Chroniques | publié le : 26.09.2022 |

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La triple inversion

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Par Benoît Serre vice-président délégué de l’ANDRH

La période que nous vivons est une conjonction absolument inédite d’évènements attendus ou non, provoqués ou souhaités. La première particularité est que ces phénomènes sont mondiaux et traversent les sociétés dans leur ensemble. Bien évidemment, chaque culture, chaque pays réagit différemment, mais le fond est le même. Les crises énergétiques et géopolitiques, la contestation plus ou moins forte d’un modèle de développement et de financement de notre économie, les comportements individuels ou collectifs en termes de consommation mais aussi de rapport au travail, l’exigence d’une vie différente avec des équilibres repensés, la volonté de voir enfin changer ce qui finalement n’était pas aussi immuable que cela sont autant de signes et d’expression qui semblent remettre profondément en question les modèles de société bien ancrés.

En France, bien entendu, nous ne sommes pas à l’écart de ces mouvements. Si l’on se concentre sur le monde des RH, l’organisation du travail, le rapport hiérarchique, le rapport à l’entreprise elle-même mais aussi à la formation comme à l’emploi, de même que la mobilité professionnelle et le management sont traversés par des questionnements qui ne sont pas que générationnels. Il suffit de constater une chose : le marché du travail va nettement mieux et chacun souhaite que cela dure dans le temps, malgré les nuages qui s’amoncellent pour certains à l’horizon. La conséquence immédiate de cette embellie se traduit non par une grande démission, mais par une grande mobilité – comme si nombre de salariés guettaient ce moment pour enfin quitter leur emploi pour un autre, leur société pour une autre. C’est une question centrale pour les entreprises qui font ce constat de la fuite des talents car c’est un révélateur puissant de ce que nous cherchons à mesurer depuis dix ans : l’engagement et la confiance.

Certes, l’adage populaire : « l’herbe est plus verte ailleurs », s’applique en l’espèce, mais tout de même, cette vague de départs et de changements révèle autre chose : certains collaborateurs n’ont pas confiance dans la capacité de leur propre entreprise à se réformer et vont donc chercher ailleurs une organisation plus conforme à leurs souhaits ou à leurs valeurs. Il y aura bien entendu des déceptions, mais pour autant, ce doute que certains, fort nombreux à en croire les statistiques, ont de l’aptitude de leur employeur à se transformer doit nous interroger en ce qu’il génère une inversion des positionnements. En effet, avec la transformation digitale, par exemple, les organisations ont clamé haut et fort depuis des années qu’il fallait se transformer toujours plus vite et certaines regrettaient que leurs propres équipes soient trop rétives à ce changement.

C’est l’inverse qui semble se produire maintenant, avec des collaborateurs qui exigent une transformation tout en constatant ou redoutant que leur entreprise se montre rétive à ces changements.

Nous assistons donc à une deuxième inversion, après celle désormais actée du marché du travail qui passe d’une structure favorable à l’employeur à une autre, plus favorable à l’employé. Il faut partiellement relativiser, car cela ne touche pas tous les métiers, même si nous constatons que les métiers rares qui en bénéficiaient sont de plus en plus nombreux, et y compris ceux dont la formation initiale est suffisamment étoffée et structurée.

Inversion dans l’appétence ressentie à la transformation, inversion du marché de l’emploi sont des constats, mais il est évidemment nécessaire de réagir vite, sans quoi nous pourrions assister à une troisième perturbation de notre société du travail : le refus de s’inscrire dans un modèle de société qui fait du travail la source de l’épanouissement et de la réalisation personnels. Les petites polémiques récentes sur « le droit à la paresse » ou la perte supposée de la valeur travail sont autant de signaux faibles à prendre en considération. Sur un plan interne et externe, la reconnaissance du travail, sa valorisation comme sa transformation constituent les meilleurs remparts contre une distorsion grandissante entre les aspirations humaines et les réalités économiques. C’est cela qui devrait préoccuper sur le moyen et long terme les dirigeants mais aussi les pouvoirs publics, dont les projets de réforme – techniquement nécessaires – ne peuvent être socialement compris et donc acceptés durablement sans tenir compte du fait que l’aspiration au changement des individus ne saurait se résoudre par des adaptations techniques, aussi nécessaires soient-elles. Nous sommes collectivement confrontés à une somme d’évènements qui transforment nos sociétés. Ne pas agir avec volontarisme ne conduirait qu’à les déséquilibrer sans les solidifier !